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L’évolution des Hominines : un arbre buissonnant et complexe

Par Virgile Le Gal - Le 10 février 2025

L’évolution des Hominines : Qui sommes-nous ? Qui sont-ils ?

J’aimerais commencer cet article avec une idée presque paradoxale.
Jamais dans son histoire, la diversité des espèces du groupe que nous allons voir aujourd’hui n’a été aussi pauvre. Et pour autant, ce même groupe, n’a jamais eu autant d’individus qu’en 2024. 
Nous sommes à l’heure actuelle plus de 8 milliards de singes bipèdes sur Terre. Et ce chiffre ne fait qu’augmenter… 

Cette histoire ne se veut pas nostalgique d’un passé révolu, mais cherche à montrer le chemin évolutif parcouru. Nous allons, ensemble, retracer l’épopée d’un groupe de singes qui un jour, s’est mis sur ses 2 jambes et en a fait sa marque de fabrique : les hominines. Cet article est le premier d’une petite série ayant pour objectif de retracer de manière concise notre histoire et celle de nos proches cousins, aujourd’hui disparus. 

Petit préambule avant de commencer : la chronologie que vous allez suivre est basée sur un arbre phylogénétique (un arbre schématique qui montre les relations de parenté entre des groupes d’êtres vivants) tiré du Guide critique de l’évolution rédigé sous la direction de Guillaume Lecointre, professeur au Muséum National d’Histoire Naturelle et spécialisé en systématique.  Dans cette chronologie, la description de certaines espèces ne sera que peu détaillée pour plusieurs raisons, notamment à cause du manque de données. En effet, la paléontologie est une discipline amenée à se confronter aux dures lois de notre Univers. L’une d’entre elles est que le temps n’a que faire de notre curiosité pour le passé, balayant une grande partie des indices d’un monde disparu.  

À gauche : Chronogramme des hominines tiré de hominides.com.
À droite : Phylogénie des hominines tirée du Guide critique de l’évolution.

En parlant de traces du passé, cette histoire s’appuiera également sur le registre fossile actuel. De vraies pierres précieuses pour les paléontologues, qui grâce à leur travail nous permettent de voir dans ce passé !
Maintenant que le contexte est donné, allons-y…

I – Un début remplis d’inconnues 

Le plus vieux de tous…

C’est au Miocène que commence notre histoire, en Afrique (et cette histoire va pendant longtemps rester exclusivement africaine), il y a un peu plus de 7 millions d’années. Nous nous situons dans l’actuel désert du Djourab au Nord du Tchad. Un désert qui, il y a 7 millions d’années, devait, d’après les recherches actuelles, probablement se rapprocher de ce qu’est aujourd’hui le pourtour du lac Tchad. A l’époque, c’était un environnement plus verdoyant que le désert du Djourab et bien plus favorable pour les hominines. 

En parlant d’eux, voici notre plus vieux cousin. Face à nous se dresse l’actuel doyen des hominines, Sahelanthropus tchadensis (l’individu star de cette espèce se prénomme Toumai, un nom que vous avez sans doute déjà entendu).

Ce doyen est un singe d’un peu moins d’1m30 et pesant dans les 50kg, qui n’est représenté que par quelques fossiles. 

Parmi les restes découverts, on compte neuf restes crâniens et un reste post-crânien correspondant au minimum à six individus, ainsi que des os des bras et des jambes.

L’espèce a été déterminante dans l’avancée scientifique car elle a mis fin à la théorie de l’East Side Story, émise par le célèbre paléoanthropologue français Yves Coppens.

L’East Side Story émettait l’hypothèse que la bipédie se serait développée dans la lignée des hominines suite à des bouleversements climatiques, qui auraient asséché l’Afrique de l’Est, la zone supposée comme étant le berceau de notre lignée.

La découverte d’un primate bipède vieux de 7 millions d’années au Tchad, à 2000 km de la zone supposée, à donc rebattu les cartes de l’origine des hominines, nous replongeant toujours plus dans le doute quant au lieu d’apparition de nos ancêtres. 

Il faut cependant nuancer certains propos. En effet, je répète à plusieurs reprises que  Sahelanthropus tchadensis est un hominine bipède. L’espèce était en effet capable de marcher sur deux jambes, on sait cela grâce au trou occipital situé sous le crâne de l’animal, montrant que la colonne vertébrale s’insère verticalement par rapport à sa tête. A l’inverse, le trou occipital des animaux à majorité quadrupède est situé  à l’arrière du crâne, leur colonne vertébrale s’insérant plus horizontalement.

Vallée du Grand Rift en Afrique de l’Est.
© Sémhur / Wikimedia Commons

Crâne fossilisé de Toumaï, un individus de l’espèce Sahelanthropus tchadensis. Vue sous différentes coupes.
© Didier Descouens / Wikimedia Commons

Schéma du positionnement du trou occipital selon le type de locomotion.
Tiré de assistancescolaire.com

Cependant, la bipédie de Sahelanthropus tchadensis était bien plus fragile que la nôtre. En effet, l’analyse de trois os des individus trouvés au Tchad nous montre un animal avec une bipédie « habituelle, mais pas exclusive ».

Pour terminer avec ce doyen de notre ligné, qu’avait-t-il dans son assiette ?

Si je devais vous résumer son régime alimentaire en quelques mots, je dirais qu’il avait une alimentation proche de certains grands singes actuels. Cependant, sa dentition suggère une alimentation tout de même plus variée que ces derniers, principalement herbivore et frugivore.

Je vous propose désormais de tourner la page « Sahelanthropus » et de nous diriger vers ce qui semble à l’heure actuelle être l’hominine le plus vieux après Sahelanthropus tchadensis. Pour cela, il va nous falloir faire un bond d’au moins  1 million d’années…

“Millenium Ancestor”

Nous nous  trouvons désormais face à un cousin ayant divergé de notre lignée plus tard que Sahelanthropus tchadensis : voici venir Orrorin tugenensis !

Tout comme Sahelanthropus tchadensis,il ne reste que très peu de traces fossiles d’Orrorin tugenensis. Parmi les restes, on dénombre  1 humérus, 3 fémurs, 1 phalange, 2 mandibules ainsi que 6 dents. Le tout aurait pu appartenir à au moins 5 individus différents. De quoi nous laisser sur notre faim me direz-vous ! 

Cependant, ces restes nous laissent entrevoir un animal avec une bipédie plus affirmée que Sahelanthropus tchadensis, tout en maintenant une vie arboricole. D’après les analyses de terrain, Orrorin tugenensis vivait dans l’actuel Kenya, dans ce qui pourrait être comparé au miombo actuel, un milieu boisé mais clairsemé.

Fossiles d’Orrorin tugenensis.
Photographie de B. Senut et M. Pickford sur hominides.com

Il faut donc imaginer un animal sans aucun doute bipède, mais pas marathonien, qui ne s’est pas affranchi du monde des arbres. Preuve à l’appui, les phalanges et la morphologie supérieure de l’animal sont différentes d’animaux plus quadrupèdes. Plus agile dans les arbres qu’un humain et plus rapide sur terre qu’un chimpanzé, Orrorin a donc préféré garder le meilleur des deux mondes.

A l’instar de Sahelanthropus tchadensis, analysons le régime alimentaire d’Orrorin. Pour faire simple on peut dire qu’Orrorin mangeait à tous les râteliers avec une nette préférence végétale. En effet, il devait probablement se nourrir de fruits, d’insectes et peut-être même si l’occasion se présentait, de viande. En bref, Orrorin était un vrai omnivore !
Alors, vous appréciez le voyage ? Je l’espère, puisque pour clore notre chapitre sur les « doyens » de notre épopée, nous allons à nouveau faire un bond dans le temps…

Carte de la côte Est africaine.
© pbardocz / Adobe Stock, Licence Fotolia

Le 1er groupe trouvé ?

Face à nous se dressent  maintenant 2 espèces, Ardipithecus Ramidus et Ardipithecus kadabba, qui appartiennent tous les 2 au genre des Ardipithecus. 

Pour faciliter la lecture, je vous propose un petit deal, appelons désormais Ardipithecus Ramidus, Rami et Ardipithecus kadabba, Kada. 

Kada n’a été retrouvé qu’en Ethiopie alors que  Rami semble à l’heure actuelle plus entreprenant, puisqu’en plus de l’Ethiopie, il a également été trouvé au Kenya. Même si les deux espèces appartiennent au même groupe, près d’un million d’années les séparent…

Commençons avec Kada. Que sait-on de lui ? Et bien pas grand-chose à vrai dire, le registre fossile ne nous a délivré que des morceaux de mâchoires, quelques dents, des débris d’os, de pieds et de mains. Pas de quoi écrire un roman, mais assez pour faire quelques conclusions sur sa morphologie. 

Son gros orteil large et robuste est caractéristique des espèces d’hominidés bipèdes. Kada marche donc dans les pas de Sahelanthropus et Orrorin, avec une bipédie développée. 

D’après ses analyses dentaires, Kada possède des dents du fond plus grosses que celles des chimpanzés actuels mais des dents de devant plus petites. Selon ces observations, Kada possédait une mastication de type « chewing » comme diraient nos voisins anglais. Comprenez par-là que l’animal mâchait beaucoup, ce qui laisse penser qu’il consommait des aliments fibreux et donc durs à mastiquer tels que des noix. 

Restes fossiles d’Ardipithecus kadabba.
Photo de Tim White tirée de hominides.com

Terminons désormais avec Rami. Son registre fossile est un petit peu plus intéressant, puisque les restes nous permettent de déterminer approximativement les dimensions de l’animal.

Si l’on compare avec Sahelanthropus tchadensis, on constate qu’ici l’animal est plus grand et légèrement plus lourd. Sa bipédie est développée, comme dans les cas précédents.. Cependant, nous n’avons toujours pas affaire à un grand marathonien. Rami ne pouvait pas, d’après ses restes fossiles, marcher ou courir sur de longues distances à pied. Cependant, on sait grâce à son bassin qu’il était tout de même bipède. L’espèce utilisait donc autant la bipédie que les arbres pour se déplacer.

Reconstitution du crâne d’Ardipithecus ramidus.
Musée de l’Homme de Paris – Photo de Neekoo pour hominides.com

Crâne d’Ardipithecus ramidus.
Muséum d’Histoire Naturelle de Londres – Photo de Neekoo pour hominides.com 

On constate également en observant ses mains qu’il était bon grimpeur, tout du moins plus que vous et moi…mais moins qu’un chimpanzé. Il ne pouvait par exemple pas pratiquer le knuckle walking (la marche sur les phalanges de la main) ni la suspension dans les arbres.

Pour terminer, Rami était, d’après les analyses, plus omnivore que nos cousins actuels. Enfin,  l’environnement qui l’entourait devait, d’après la flore fossile, être proche d’une parcelle forestière, un milieu toujours propice aux déplacements arboricoles. 

Cette même façon de se déplacer va, d’après les registres fossiles, avoir tendance à diminuer chez les futures espèces que nous croiserons au cours de notre voyage.

Grands singes pratiquant le knuckle walking.
Gauche : Chimpanzé © Raphaël Quinet / Flickr ; Droite : Gorille des plaines de l’Ouest © Cburnett
/ Wikimedia Commons

Pour conclure ce premier chapitre, l’évolution des hominines les plus anciens est arbustive et suit, sur certains caractères tels que la bipédie, une même ligne directrice. Cependant, cela dépend des caractères, puisque le régime alimentaire varie peu selon les espèces, de même que les mensurations, qui ne changent presque pas après plusieurs millions d’années. 

Dans la suite de notre histoire, vous verrez que certaines choses évoquées ici vont se répéter mais que beaucoup d’autres vont apparaître. Sous vos yeux, l’évolution de la lignée humaine va de plus en plus ressembler aux branches d’un arbre buissonnant, avec des espèces toujours plus intéressantes. À bientôt pour la suite de notre voyage !

Sources

(1) Wikipedia – Page “Sahelanthropus tchadensis” – Environnements
(2) Site Hominide.com – Page “Sahelanthropus tchadensis”
(3) Wikipedia – Page “Sahelanthropus tchadensis” – Fossiles découverts
(4) MHN – Page “Toumaï le plus vieille ancêtre de l’humain était bipède”
(5) Wikipedia – Page “Sahelanthropus tchadensis” – Caractéristiques morphologiques
(6) CNRS – Page “Sahelanthropus, plus anciens représentants de l’humanité, était bien bipède…mais pas que !”
(7) Wikipedia – Page “Sahelanthropus tchadensis” -Extrapolations à partir des caractères observés
(8) Site Hominide.com – Page “Orrorin turgenensis” – Découvertes + Wikipedia – Page “Orrorin tugenensis” – Les fossiles
(9) Site Hominide.com – Page “Orrorin turgenensis” – Mode de locomotion
(10) Wikipedia – Page “Orrorin tugenensis” – Locomotion

(11) HAL open science – Orrorin tugenensis et les origines de l’homme : une synthèse B. Senut
(12) Wikipedia – Page “Orrorin tugenensis” – Environnement et alimentation
(13) Wikipedia – Page “Ardipithecus ramidus”
(14) Site Hominide.com – Page “Ardipithecus kadabba”
(15) Wikipedia – Page ”Knuckle walked”

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