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La matière noire : le côté obscur de l’Univers

Par Karine Da Silva Lages - Le 17 janvier 2017

Depuis l’Antiquité, l’Univers émerveille l’Homme qui n’a cessé d’essayer d’en expliquer les phénomènes observables ou d’en imaginer la taille. Depuis tout ce temps, avec tous les progrès que notre civilisation a fait dans la recherche et les sciences, il serait logique de penser que nous avons (presque) tout compris et découvert à son sujet mais la réalité est tout autre!

L’Univers visible – les étoiles, les planètes, tout ce qui est composé de matière ordinaire ou visible – ne représente que 4% de sa masse totale. Étonnant, non? De quoi sont  composés les 96% restants? Cette dernière question passionne les astrophysiciens depuis bien longtemps.

On considère que les 96% de masse inconnue sont constitués d’environ 70% d’énergie noire et environ 26% de matière noire. Le plus incroyable au sujet de cette matière noire est que les scientifiques n’ont pu déduire son existence que par l’effet qu’elle semble avoir sur la matière visible. Elle est appelée matière « noire » ou « sombre » car elle n’est pas composée de matière ordinaire (matière qui absorbe la lumière et qui est ainsi « visible »). De quoi est-elle alors composée? Nous vous proposons de découvrir avec nous quelque unes des réponses que tentent de fournir les chercheurs à ce fascinant mystère de l’Univers!

Épopée d’un mystère

C’est en 1933 que les premiers indices de l’existence de la matière noire apparaissent. L’astronome suisse, Fritz ZWICKY, en voulant calculer la masse totale d’un amas de galaxies trouve des résultats incohérents. Grâce aux lois de Newton, il est possible de calculer la « masse dynamique » d’un amas de galaxies en étudiant la vitesse de dispersion de ces galaxies. Les résultats de ces calculs auraient dû  coïncider avec la «masse lumineuse», la masse déduite de la quantité de lumière émise par ces amas. Or Zwicky trouve une masse dynamique 400 fois plus grande que la masse lumineuse. Ses résultats ne sont cependant pas pris en compte  car il est estimé que des incertitudes de mesures sont à l’origine de ces chiffres surprenants. Ce phénomène est observé une seconde fois quelques années plus tard, mais il est de nouveau mis de côté.

Il faudra attendre les années 1970 pour que cette hypothèse soit enfin adoptée. C’est l’astronome américaine Vera Rubin qui va confirmer l’hypothèse de l’existence de cette matière noire pour expliquer ses observations sur la rotation des galaxies spirales. Elle découvre qu’à l’échelle d’une galaxie, la vitesse des étoiles qui la compose va à l’encontre des théories de Newton. En théorie, la vitesse des étoiles devrait décroître au fur et à mesure que l’on s’éloigne du centre de la galaxie, mais ses observations ne rendent pas compte de cette décélération. La scientifique postule alors qu’il existe une quantité de matière « non visible » très importante, formant un halo autour de la galaxie et représentant près de 90% de sa masse. Ainsi, même les étoiles qui semblent les plus lointaines ne sont en réalité pas assez éloignées du centre pour que l’impact sur leur vitesse soit significatif.

Depuis ce constat, plusieurs hypothèses sont admises afin d’essayer de comprendre la composition de la matière noire.

Ce graphique montre la courbe de rotation prévue par les équations de Newton (A) et la courbe observée (B), en fonction de la distance au centre de la galaxie.

Source : William Crochot — Travail personnel, CC BY-SA 4.0

Un modèle standard de la physique incomplet

La première théorie concernant la composition de cette matière noire est celle qui suppose l’existence de particules encore inconnues qui viendraient compléter le modèle standard de la physique.

Au pôle Sud, enfoui sous 1,5 kilomètres de glace, se trouve le plus grand détecteur de neutrinos du monde : Ice Cube. Les neutrinos sont les particules les plus abondantes dans l’Univers, mais ils interagissent très peu avec la matière visible. Il existe trois types de neutrinos : électronique, muonique et tauique. Les scientifiques explorent aujourd’hui l’hypothèse d’un quatrième type de neutrino qui ne serait détectable que par son effet sur la gravitation et qui serait un potentiel composant de la matière noire : le neutrino stérile. Ce type de neutrino a été utilisé de nombreuses fois pour expliquer certaines anomalies, notamment concernant les galaxies et la présence de matière noire. En août 2016 cependant, les résultats de recherches utilisant les données recueillies par IceCube vont à l’encontre de l’existence de tels neutrinos. En effet, les neutrinos qui servaient à expliquer les anomalies n’ont pas pu être mis en évidence, ce qui laisserait penser aux chercheurs qu’il est de plus en plus improbable que cette particule existe.

Pour en savoir plus sur les résultats de l’expérience IceCube : http://icecube.wisc.edu/news/view/438

Les WIMP – Weakly Interacting Massive Particles – sont considérés aujourd’hui comme les composants les plus probables de la matière noire. Ces particules sont au cœur de la théorie de la supersymétrie qui prévoit un « super-partenaire » pour chaque particule du modèle standard de la physique. En juillet 2016, l’expérience LUX – Large Underground Xenon – a révélé les résultats d’une étude qui aura duré 20 mois. Ce détecteur chargé de 370 kilogrammes de xénon liquide, enterré dans une ancienne mine du Dakota du Sud (USA), est parti à la recherche des WIMP mais l’analyse des données recueillies n’a cependant pas permis de les détecter. Néanmoins, ces résultats permettent d’affiner le champ de connaissances des caractéristiques de ces particules et servent ainsi de base à d’autres expériences encore plus sensibles et qui pourraient mener à prouver leur existence. C’est le cas par exemple de l’expérience XENON1T au laboratoire souterrain du Gran Sasso (Italie) ou encore le petit frère de LUX, le détecteur LZ prévu pour 2020.

Pour en savoir plus : http://www.sanfordlab.org/science/lux ; http://www.xenon1t.org/ ; http://lz.lbl.gov/

Les axions sont d’autres candidats sérieux pour la matière noire. Ces particules sont très légères, de charge électrique neutre et seraient apparues en grande quantité à la naissance de l’Univers. Elles font l’objet de recherches, notamment au sein du CERN avec les expériences CAST – CERN Axion Solar Telescope – et OSQAR – Optical Search of QED vacuum magnetic birefringence, Axion and photon Regeneration.

Pour en savoir plus : https://home.cern/fr/about/experiments/cast ; https://home.cern/fr/about/experiments/osqar

La théorie MOND (MOdified Newtonian Dynamics)

La seconde grande théorie repose sur la modification des lois gravitationnelles de Newton. L’intérêt pour cette théorie provient du fait qu’elle est vérifiée quand elle est appliquée à certains phénomènes tels que les différences de vitesse de rotation des étoiles dans les galaxies spirales. Ainsi ces différences qui permettent d’admettre l’existence de la matière noire (cf. les recherches de Vera Rubin) pourraient aussi être expliquées par la théorie MOND. Les résultats d’une étude publiée en novembre 2016 permettent de relier incontestablement la répartition des étoiles dans les galaxies et leur accélération, sans admettre l’hypothèse de présence de matière inconnue au sein des galaxies. Malgré tout, cette théorie peine à expliquer d’autres phénomènes alors que la matière noire pourrait les justifier. On peut alors comprendre toute la complexité devant laquelle les chercheurs se trouvent quand il s’agit de savoir de quoi est composée la matière noire !

Pour en savoir plus : https://arxiv.org/abs/1609.05917

Un candidat composé de matière ordinaire : les trous noirs

A la suite de l’annonce par l’expérience LIGO (Laser Interferometer Gravitational-Wave Observatory) de l’observation des ondes gravitationnelles – émises suite à la fusion de deux trous noirs – une ancienne théorie écartée jusqu’alors a refait surface. Cette théorie expliquerait les effets gravitationnels observés dans les galaxies par la présence de trous noirs à proximité et tout autour de celles-ci. Cette théorie possède une certaine logique pour expliquer l’existence de la matière sombre puisque les trous noirs – tout comme la matière noire – n’émettent aucun rayonnement visible. De plus, on sait que les trous noirs peuvent avoir un effet gravitationnel important sur le mouvement des étoiles, ce qui pourrait expliquer les différentes variations observées. Deux articles allant dans ce sens ont été publiés en 2016. Ces deux publications – une signée par un astrophysicien de la NASA, l’autre signée, entre autres, par l’un des lauréats du Prix Nobel de physique en 2011 – suggèrent que la matière noire est composée de trous noirs dits « primordiaux » – i.e. des trous noirs qui seraient apparus aux premiers instants de la naissance de l’Univers. Ces hypothèses ne pourront être confirmées ou réfutées que par l’étude d’autres données recueillies par des expériences telles que LIGO et ajoutent encore du  mystère autour de la nature de cette matière noire.

Pour en savoir plus : http://iopscience.iop.org/article/10.3847/2041-8205/823/2/L25 ; https://arxiv.org/abs/1603.00464

Les photons noirs

Une hypothèse également explorée est l’existence d’une cinquième force fondamentale (ndla: il existe 4 forces fondamentales : l’interaction nucléaire forte, l’interaction nucléaire faible, l’interaction électromagnétique et la gravitation). Une première publication de janvier 2016 d’une équipe de recherche hongroise a conclu à l’existence de nouvelles particules par l’observation d’anomalies dans la désintégration nucléaire de l’isotope béryllium-8. Quelques mois plus tard, c’est un laboratoire américain qui est arrivé à la même conclusion. Ces nouvelles particules pourraient être  des « photons noirs ». A l’image de leurs cousins « visibles » qui transmettent la force électromagnétique, ils seraient le vecteur de cette nouvelle force fondamentale et seraient capable d’interagir avec la matière ordinaire. L’expérience NA64 au CERN a pour but de détecter cette nouvelle particule. Dans ce détecteur, on applique le principe de conservation de l’énergie afin de détecter un déficit d’énergie qui serait la preuve de la présence de ces photons noirs. Les données recueillies pendant deux campagnes de recherche en juillet et novembre 2016 n’ont pas encore permis de détecter ces particules mais ont eu le mérite de préciser les connaissances sur leurs caractéristiques.

Pour en savoir plus : http://home.cern/fr/about/updates/2016/11/na64-hunts-mysterious-dark-photon ; https://arxiv.org/abs/1504.01527 ; https://arxiv.org/abs/1604.07411

Le problème de la matière noire est passionnant car il remet en cause la validité-même de nos théories physiques. Pour pouvoir émettre l’hypothèse de l’existence de la matière noire, il faut préalablement postuler que les lois de la physique qui gouvernent l’Univers sont vraies à tout instant et à toutes échelles. Alors, ces phénomènes inexplicables qui nous poussent à définir des notions comme la matière noire ne seraient-ils pas plutôt des indications que nos lois sont incorrectes ? L’approche radicalement différente proposée par  la théorie MOND pourrait consister à supposer qu’il n’y a pas de matière noire, que la matière noire est un faux problème, dû à notre mécompréhension des lois de la gravitation.

Ce qui est certain c’est que l’on ne peut écarter l’une ou l’autre des hypothèses pour résoudre le mystère de la matière noire et il se pourrait bien que les deux théories soient complémentaires. Dès lors que ce sujet soulève des questions aussi fondamentales, il n’est pas étonnant qu’il passionne autant les scientifiques et ce pour de nombreuses  années encore !

Sources

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