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Mon doctorat : de la fabrication du pain à l’étude des microbes

Par Maaike Sangster - Le 29 mai 2025

Je m’appelle Maaike, et je suis une microbiologiste des Pays-Bas. J’ai fait mon doctorat à Grenoble, où je partageais mon temps entre un laboratoire de Physique Interdisciplinaire (LIPhy) et une institut numérique (INRIA). 

J’ai commencé mon doctorat en octobre 2019 et tout se passait plus ou moins comme prévu : je lisais des articles, j’apprenais à connaître le laboratoire et je mettais en place les premières expériences. Jusqu’à ce que, en mars 2020, le COVID-19 arrive… Je ne pouvais plus me rendre au laboratoire et j’étais coincée à la maison, analysant le seul ensemble de données que j’avais réussi à collecter au cours de mes premiers mois au laboratoire. Aussi frustrante que soit cette situation, c’était aussi une période intéressante pour une biologiste et il y avait beaucoup de questions intéressantes à poser et à étudier. Comment les virus se propagent-ils ? Comment fonctionnent les pandémies ? Comment les vaccins fonctionnent-ils ? Et la question la plus importante de toutes : comment fait-on un bon pain au levain ?

En cuisant du pain au levain pendant le confinement, des millions de personnes devenaient soudainement des scientifiques à domicile : grâce à des expériences plus ou moins soigneusement exécutées, ils ont appris comment le levain réagit à la température, à l’humidité et à la concentration en sucre. Ce que ces scientifiques amateurs n’ont peut-être pas toujours réalisé, c’est qu’ils effectuaient des recherches sur le même sujet que moi pendant mon doctorat : les communautés microbiennes ! En effet, le levain est essentiellement une communauté de microbes composée de levures et de bactéries. Cette communauté utilise les glucides de la farine et produit le gaz carbonique qui fait lever la pâte à pain avant la cuisson. 

Il existe de nombreuses autres communautés microbiennes qui jouent un rôle important dans notre vie quotidienne. Pensez à notre microbiome intestinal, qui nous aide à digérer nos aliments, mais qui peut aussi causer des désagréments lorsqu’il est déséquilibré. On peut également citer les boissons fermentées à partir de levures, telles que le kéfir et la bière. Dans ces communautés microbiennes, il existe de nombreux types de microbes qui se développent et qui ont tous des compétences et des tâches différentes. Dans le levain, on trouve au moins 42 types de microbes différents, et l’intestin humain contient quant à lui plus d’un millier d’espèces différentes.

Les microbes présents dans l’intestin humain ont probablement aussi un impact sur notre cerveau ! Source : Benjamin Arthur, Arthuranimation.com

Bien que nous sachions plus ou moins ce qui entre et ce qui sort lorsqu’ on cuit un pain au levain, lorsqu’ on digère des aliments ou lorsqu’ on brasse une cuve de bière, nous savons très peu de choses sur les interactions entre les différents microbes de ces communautés naturelles. Il est important de mieux comprendre ces interactions, afin de pouvoir éventuellement les modifier. En comprenant pourquoi les microbes coopèrent ou s’affrontent, et dans quelles conditions, nous pouvons rendre le processus de brassage de la bière plus efficace ou travailler à la guérison de maladies intestinales humaines telles que le syndrome inflammatoire de l’intestin. 

Pour mon doctorat, j’étais donc curieuse de savoir comment les microbes des communautés microbiennes interagissent et comment la composition d’une communauté reste stable. Pourquoi les microbes coopèrent-ils ? Et pourquoi un microbe ne dépasse-t-il pas tous les autres ? Pour répondre à ces questions, j’ai d’abord simplifié le système : J’ai décidé d’étudier les interactions entre deux microbes différents. A l’inverse du levain, dans lequel les microbes consomment le mélange complexe de ressources que l’on trouve dans la farine, j’ai cultivé les miens sur un milieu bien défini composé de quelques sels et de sucre dissous dans l’eau. En étudiant une communauté relativement simple, au lieu d’examiner directement la communauté naturelle beaucoup plus complexe, j’espérais mieux comprendre certains principes fondamentaux des interactions microbiennes.

Avant de commencer mon étude expérimentale, j’ai recueilli des données sur la façon dont les deux microbes se développaient individuellement. Je savais que le microbe 1 préférait se développer sur le glucose (sucre) et rejetait de l’acétate (l’un des acides qui donnent au levain son goût aigre) au cours du processus. Le microbe 2, quant à lui, préférait consommer de l’acétate. Sur la base de ces connaissances, je pouvais construire un modèle mathématique qui faisait certaines prédictions sur la coopération entre les deux organismes.

Ce que je ne connais pas encore, et que je voulais donc découvrir expérimentalement, c’était l’impact de la présence du microbe 1 sur le microbe 2 et vice versa. Je soupçonnais que la mise en contact des deux microbes pouvait donner lieu à des interactions qui ne pouvaient pas nécessairement être prédites à partir des propriétés des espèces individuelles. En biologie, nous appelons ces caractéristiques imprévisibles des propriétés émergentes : des propriétés qui ne peuvent être prédites à partir des composants individuels d’un système, mais qui apparaissent lorsque l’on examine le système dans son ensemble. Dans mon cas, j’ai prédit, à partir de mes connaissances que dans certaines conditions, les microbes seraient tous deux capables de se développer grâce à un processus appelé cross-feeding : le microbe 1 absorberait du glucose et rejetterait de l’acétate, ce qui permettrait au microbe 2 de se développer.

Gauche : le microbe 1 absorbe du glucose et excrète de l’acétate tandis que le microbe 2 excrète de l’acétate. Droite : les deux microbes se développent dans un bioréacteur.

Pour vérifier cette prédiction et rechercher d’éventuelles propriétés émergentes, j’ai cultivé les deux microbes ensemble en laboratoire. Je l’ai fait dans un bioréacteur que j’ai développé moi-même : il était constitué de petits flacons contenant les deux microbes en solution, de tubes et de pompes pour les alimenter en glucose, et d’un système de mesures automatisées de la culture qui permettait à l’expérience de se poursuivre même lorsque je quittais le laboratoire.

Grâce à ce bioréacteur, j’ai pu laisser les microbes se développer pendant 5 jours, avec seulement quelques interventions manuelles. Malgré cette automatisation, les expériences n’ont pas été faciles à réaliser. La principale difficulté d’une expérience aussi longue est de la maintenir propre. Les microbes sont partout : sur les mains, dans l’air, sur la paillasse… Par conséquent, une expérience avec des organismes spécifiques est facilement contaminée par d’autres espèces présentes dans l’environnement. En prenant soin de maintenir le réacteur isolé de son environnement, j’ai finalement réussi à mener des expériences propres et à mesurer la quantité de microbes 1 et 2, ainsi que les concentrations de glucose et d’acétate au fil du temps.

Le bioréacteur que j’ai utilisé pour développer la communauté microbienne.

Après avoir comparé les concentrations mesurées de microbes et de nutriments à mes prévisions, j’ai découvert une propriété émergente : la présence du microbe 2 semblait entraîner du cross-feeding plus importante que celle prévue par les données disponibles pour les différentes espèces. Il semble que le microbe 2 ait « forcé » le microbe 1 à partager son acétate et à coopérer. J’ai quelques idées sur la manière dont cette coopération forcée se produit, mais d’autres expériences seront nécessaires pour confirmer ces hypothèses. J’aimerais également examiner les communautés microbiennes naturelles afin de déterminer si ce type d’interactions y joue également un rôle : se pourrait-il que certains microbes de l’intestin « volent » régulièrement des nutriments à d’autres ?

Dans l’ensemble, mon étude a permis de mieux comprendre à la fois les microbes individuels que j’ai étudiés et aussi la coopération entre eux. Cela nous a permis de mieux comprendre le fonctionnement des communautés naturelles. Nous savons désormais un peu mieux comment fonctionnent le cross-feeding et la coopération entre les microbes. Cela pourrait aider les futurs chercheurs à soigner les microbiomes intestinaux malsains et, éventuellement, à créer des recettes pour rendre le pain au levain encore plus délicieux ! 

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