Invisibilité : quand la fiction inspire la science
Par Clément Dufrenne
Par Romain Durand-de Cuttoli - Le 24 février 2013
Une étude récente en IRM fonctionnelle s’intéresse aux corrélats neurobiologiques de l’état psychédélique provoqué par la prise de psilocybine . Contrairement aux attentes ces résultats indiquent une diminution globale de l’activité et suggèrent une possible utilisation thérapeutique dans certains cas de dépression.
La psilocybine est le précurseur de la psilocine, qui est le principal composant des champignons hallucinogènes. Cependant, en dépit d’une abondante littérature sur la phénoménologie, nous savons actuellement très peu de choses sur la façon dont ses effets se produisent dans le cerveau. Une étude, publiée en février 2012 dans la revue américaine PNAS par le Docteur Robin Carhart-Harris de l’Imperial College à Londres, a cherché à répondre à cette question en couplant l’imagerie par résonnance magnétique fonctionnelle (IRMf) et un paradigme expérimental permettant d’observer la transition entre un état de veille « normal » et un état psychédélique.
Dans un premier temps, une étude pilote, menée sur 9 volontaires sains, a permis de montrer qu’une dose de psilocybine de 2 mg injectée en intraveineuse suffit à induire les effets subjectifs associés à la prise orale de 15 mg (ce qui correspond à une dose modérée). Ces résultats associés au fait que les sujets n’aient pas trouvé l’expérience désagréable ont permis la validation du protocole de la seconde partie de l’étude qui consiste à observer l’activité cérébral en IRMf à la suite d’une injection comparable de psilocybine.
L’objectif de cette étude était d’identifier par une démarche expérimentale les corrélats neurobiologiques de certains grands concepts clés de la psychanalyse Freudienne comme l’ego, l’esprit inconscient en superposant certains effets subjectifs caractéristiques de l’état psychédélique avec l’activité cérébrale mesurée en IRMf.
Les résultats de cette étude montrent une diminution significative de l’activité cérébrale dans certaines régions corticales (cortex cingulaire postérieur (PCC) et antérieur (ACC), cortex pré-frontal médial (mPFC)) et sous-corticales (thalamus et hypothalamus principalement) pour les sujets ayant reçu l’injection de psilocybine par rapport à ceux ayant reçu une solution saline équivalent (placebo). Ces régions sont impliquées dans des processus associatifs complexes (PCC et mPFC) et sont considérés comme des carrefours majeurs dans les réseaux cérébraux (thalamus, PCC, ACC et mPFC). En parallèle, Carhart-Harris et son équipe ont aussi pu établir une corrélation évidente entre cette diminution de l’activité dans certaines régions cérébrales et l’intensité des effets subjectifs (mesurés sur une échelle allant de 0 à 10, 10 étant pour des effets « maximum »).
Figure 1 : En bleu, une diminution de l’activité cérébrale dans certaines zones du cerveau caractérisée par une diminution du débit sanguin cérébral sanguin (CBF) chez des sujets ayant reçu l’injection de psilocybine par rapport au sujets placebo. Cette diminution est principalement marquée dans le thalamus, le cortex cingulaire antérieur et postérieur et le cortex préfrontal médian. (Carhart-Harris, PNAS, 2012).
L’hypothèse selon laquelle les drogues psychédéliques agiraient sur le cerveau en augmentant l’activité cérébrale dans une région donnée faisait jusqu’à ce jour consensus dans la communauté scientifique. Cependant les résultats de cette étude viennent mettre à mal cette idée. Une hypothèse consiste à penser qu’il s’agit en réalité de diminution d’une activité inhibitrice dont la résultante serait par conséquent une activation en sortie. En effet, la psilocybine est un agoniste des récepteurs 5-HT2A à la sérotonine, neuromodulateur classiquement impliqué dans les effets subjectifs et comportementaux des drogues psychédéliques. Cette hypothèse est aussi soutenue par le fait que l’emploi d’antagonistes de ces récepteurs permet de bloquer les effets subjectifs de telles substances.
Le rôle du cortex cingulaire postérieur (PCC) reste aussi un grand mystère. En effet, sa taille imposante, sa position centrale et sa riche vascularisation en font une structure très protégée du système nerveux central. De plus, sa forte activité métabolique ont conduit certaines équipes à spéculer sur son importance et son implication dans certains processus cognitifs majeurs comme l’ego Freudien.
L’interprétation proposée par le Dr Carhart-Harris et son équipe serait une inhibition de certains « connecteurs » majeurs tels que le PCC ou le thalamus dans la résultante serait une perception « sans-contrainte » de la réalité. Ces résultats vont dans le sens de la métaphore que proposait Aldous Huxley, l’écrivain anglais, en comparant le cerveau/l’esprit à une valve qui contraindrait sa propre expérience du monde pour la faire tendre vers un ensemble rationnel.
D’autre part le mPFC est connu pour être fortement activé dans des cas de dépression, c’est pourquoi l’équipe de Carhart-Harris considère l’hypothèse d’utiliser la psilocybine (dans des doses très modérées, bien sûr) dans le traitement de certains troubles d’ordre psychiatrique. En effet, un des effets de cette dernière semble être une diminution de l’activité dans cette partie du cortex faisant probablement intervenir les récepteurs 5HT2A à la sérotonine. Cependant des études plus approfondies seront nécessaire afin de valider cette hypothèse avant d’entamer d’éventuelles recherches cliniques.
Cette étude nous offre l’investigation la plus détaillée à l’heure actuelle sur la façon dont l’état psychédélique est produit dans le cerveau et suggèrent une diminution de l’activité et de la connectivité cérébrales lors de la prise de psychédéliques conduisant à une perception désinhibée. Le mode d’action de la psilocybine laisse entrevoir sa possible utilité dans le traitement de certains troubles psychiatriques comme la dépression.
Carhart-Harris R & al (2012) Neural correlates of the psychedelic state as determined by fMRI studies with psilocybin. PNAS 109(6):2138-2143.
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