Et l’Homme créa les étoiles
Par Adrian Bonte
Par SAADALLAH Khansa - Le 23 septembre 2019
Dans une société meurtrie par les atrocités des guerres telles que l’expérimentation humaine sous l’égide nazie, les procès de Nuremberg(1) ou encore celui d’Helsinki ont permis d’instaurer les premières ébauches des règles éthiques. C’est à ce moment là que la science a pris conscience de l’ampleur et des conséquences de son pouvoir sur la population. L’indispensable alliance de biologistes, médecins, théologiens, philosophes, et sociologues a été matérialisée par la cristallisation d’un domaine unique fondé sur la réflexion humaine qu’est l’éthique.
L’éthique est définie en tant que science ayant pour objet la détermination des principes et de la conduite morale. Avant de poursuivre, il advient nécessaire de faire une stricte distinction entre l’éthique et la morale. Il peut être intéressant de noter que chez les Grecs, les deux notions sont étroitement liées, ethos signifiant les “moeurs”. Aristote fut un premier pionnier de cette réflexion critique qu’il qualifie de relation de l’âme avec l’environnement. Dans l’Éthique de Spinoza, ce dernier explique que l’éthique doit libérer l’homme de sa servitude à l’égard des sentiments et lui apprendre à vivre exclusivement sous la conduite de la raison. Aux yeux de Kant, elle est la science des lois de la liberté. Elle naît de la dualité de la volonté propre universelle d’une part, et de la morale synonyme de devoir, d’autre part.
De nos jours, la morale revêt les habits des valeurs subjectives, tandis que l’éthique érige les lois auxquelles les individus se doivent d’obéir, dans un monde où les mœurs subissent de perpétuelles mutations et où la science a toujours suscité de vives interrogations. Le chercheur a alors le devoir de tenir une ligne de conduite irréprochable. Il a une responsabilité vis-à-vis de la société.
La biologie, à l’image de toute science, est indifférente quant à la manière dont l’homme usera de ses conséquences. Ainsi, il est du devoir du scientifique, détenteur d’une certaine quantité de connaissances, de faire bon usage d’une telle substance. La transparence dans le monde de la recherche scientifique est alors indispensable. Le chercheur se doit de communiquer à la société, qui finance sa recherche, la nature et l’envergure de ses travaux car l’ignorance du public pourrait devenir un obstacle à une subvention future. Il ne faut pas oublier que l’ultime essence d’un tel métier est d’apporter au monde de nouvelles avancées, et non de servir une gloire personnelle. En effet, une découverte n’a d’écho que par l’existence d’une communauté scientifique capable de comprendre l’information, voire de la réfuter. En revanche, la pérennité même de cette communauté requiert la formation de futurs chercheurs. La transmission se doit d’être davantage valorisée, car elle est aussi primordiale que le nombre de publications et de citations par les paires. La production scientifique destinée à l’éducation, ainsi qu’au grand public devrait être davantage gratifiée, en étant prise en compte dans l’évaluation des chercheurs. Il est nécessaire de faire évoluer le système actuel afin de promouvoir un enrichissement culturel universel, permettant simultanément une démarginalisation de la communauté scientifique, et dépoussiérant le mythe du chercheur coupé du monde profane.
Une telle démocratisation de la connaissance (par la vulgarisation par ex.) éviterait notamment une manipulation maladroite, voire fourbe, par une presse ni qualifiée, ni consciente, avide d’audience. L’information est mutilée, tronquée à souhait, relayée dans des flashs infos accrocheurs à un public généralement non formé pour la comprendre. On pourrait citer l’éprouvée propagande dont a souffert la vaccination, qui subsiste jusqu’à présent, ou encore la diabolisation médiatique des organismes génétiquement modifiés. Par exemple, en 1998, l’équipe du chirurgien Wakefield dans The Lancet (journal médical britannique) établissait un lien entre l’inoculation des vaccins rougeole-oreillons-rubéole (ROR) et l’incidence autistique(2). Relayée par les médias, la controverse conduira à une baisse sévère de la couverture vaccinale du ROR, corrélée avec une résurgence de la rougeole au Royaume Uni. Pourtant, malgré la rétractation de l’article en 2010, et la parution de dizaines d’études réfutant tout lien entre les deux événements, les esprits restent marqués. C’est ainsi, qu’en 2019, une étude de grande ampleur, menée par une équipe de chercheurs danois(3) reprend de très nombreuses données (cohorte de 650 000 individus nés entre 1999 et 2010) et finit par acculer ce travail frauduleux. Elle établit que la vaccination ROR n’augmente pas le risque d’autisme, et ceci même chez les enfants à risques.
D’autre part, la science ne peut s’octroyer le luxe d’occulter l’erreur, et justement le terme latin error signifie la course à l’aventure. Le philosophe Gaston Bachelard affirmait que les « vérités » (4) scientifiques n’étaient jamais que provisoires, qu’elles devaient, sans cesse, être remaniées et corrigées. Il apparaît donc nécessaire de ne pas confondre l’erreur avec la faute, qui elle engage la responsabilité du chercheur. Il est primordial que ce dernier rapporte tous ses résultats, qu’ils soient positifs ou négatifs, afin de ne pas ralentir inutilement la science, économisant à d’autres du temps et de l’argent. En revanche, la pression sociale que subit le chercheur peut le conduire à la falsification des données. Il compromet ainsi non seulement son intégrité mais également celle de l’organisme qu’il représente. Il devient indigne de la confiance placée en lui, voire du pécule qu’on lui a confié.
Une explication de telles conduites frauduleuses, peut être abordée par la course au financement, la tare moderne de la recherche et notamment la recherche biomédicale. Les crises économiques ayant ébranlé les systèmes libéraux, ont induit d’importantes restrictions budgétaires qui ont fait diminuer les offres et les budgets des laboratoires. De cela, naissent des déséquilibres majeurs croissants entre les entreprises privées et publiques, conduisant à une recherche biomédicale guidée par la rentabilité économique. Une nouvelle atmosphère régit le monde de la recherche où la compétition prévaut à la collaboration inter-scientifique, et où la circulation des informations devient limitée. Cette libre-circulation essentielle est substituée par des données confidentielles, toujours dans l’optique de cette éternelle course à la publication, pour un achèvement individuel. Un exemple de ces dérives est la multiplication des tests de dépistage de maladies génétiques, au détriment d’une recherche plus fondamentale autour de la compréhension des mécanismes pathologiques, tels que dans la maladie d’Alzheimer.
Chaque institution applique donc un code de conduite d’après les textes de normes éthiques, à laquelle doit se soumettre chacun de leurs protagonistes. Des règles et des protocoles stricts régissent ainsi toute forme d’expérimentation.
Le sujet de l’expérimentation animale a toujours suscité de vives polémiques, à juste titre. Les arguments des parties adverses sont justifiés. Les uns déclarent que le modèle animal constitue une étape essentielle pour une première investigation dans le milieu in vivo, tandis que les autres réfutent la transposition du modèle à l’espèce humaine. Évidemment, d’autres ne comprennent pas que les animaux aient à subir des protocoles lourds, parfois souffrir, et vivre confinés dans d’étroites cages toute leur vie, sans aucune échappatoire possible à un destin funeste. À cela, certains répondront que la finalité de leur existence même était l’expérimentation, leur naissance étant contrôlée. À ce jour, il n’existe que dans de rares cas, des alternatives à cette forme de recherche, alors on ne peut que réglementer l’utilisation des animaux en s’inspirant de la règle des 3R (réduire, raffiner, remplacer) énoncée par Russel et Burch. Il s’agit de réduire leur nombre, améliorer leurs conditions de vie, et recourir à d’autres méthodes dès lors que c’est possible. À cette fin, il est essentiel de correctement former les individus afin que ceux-ci les utilisent dans le respect.
La recherche biomédicale nécessite toujours, malgré de longues périodes d’études au laboratoire sur le modèle cellulaire ou animal, le passage à l’expérimentation humaine. Dans une lettre adressée à l’Empereur du Brésil Dom Pedro II, Pasteur déclare, alors même qu’il aura multiplié les succès sur les animaux (prophylaxie de la rage), que cela n’empêchera guère sa « main de trembler quand il faudra passer à l’espèce humaine ». Il avait quelques réticences à pratiquer l’expérimentation en milieu carcéral mais le justifiait par une rédemption sociale que sa société offrait au condamné à mort. La réponse de l’Empereur, un homme de sciences, ne se fit pas attendre, et l’accès aux prisonniers brésiliens lui fut expressément défendu. Furent ainsi posées les prémices de l’interrogation sur le corps de l’homme, qui n’est ni une affaire sociale, ni l’assemblage de pièces organiques remplaçables, mais une personne unique. Cette personne est aujourd’hui protégée par un certain nombre de lois éthiques, qui ne font que s’étoffer. Malgré la requalification de la personne, la recherche par son caractère scientifique nécessite une forme de déshumanisation des patients si elle veut des résultats qualitatifs. De plus, une telle instrumentalisation (consultation comités, collecte consentements,…) peut avoir des effets négatifs comme un allongement des démarches. Cela peut constituer un handicap pour certains protocoles de recherche comme pour les myopathies où le stade de l’intervention thérapeutique sur le patient est primordial.
Les révolutions biologiques, telles que le passage de la génétique au transhumanisme, où l’homme façonne une intelligence artificielle capable de le supplanter, font que nous ne sommes pas à l’abri d’une nouvelle forme d’eugénisme. A présent, il est également capable de générer des individus résistants à certaines pathologies, en manipulant le génome. Une polémique récente révélait la naissance d’individus génétiquement modifiés résistants à l’HIV par modification de leurs gènes clés via l’outil CRISPER/Cas9. Où nous arrêterons-nous ? Faudra-t-il attendre l’éradication de l’espèce humaine telle que nous la connaissons, si parfaite de ses imperfections. Une société où les inégalités socio-économiques creuseront plus que jamais des écarts infranchissables, où faute de moyens on tendrait vers une disparition inéluctable. D’autre part, les révolutions thérapeutiques, où l’homme voit sa longévité augmenter, sur une planète où les ressources ne semblent pas suivre la même croissance, forgent un destin nouveau, où la science se doit d’être cloisonnée par des règles afin de préserver la dignité humaine. L’homme ne cesse d’outrepasser des limites que l’on ne pouvait pas même soupçonner quelques années auparavant. Tout un chacun se doit d’être concerné par les nouvelles problématiques qui se soulèvent chaque jour, et ne pas rester engluée dans la masse sociétale inerte, car c’est par la confrontation, la conjonction des opinions, et la définition de nouvelles éthiques, que se construira le monde de demain.
(1) http://www.histoire-image.org/fr/etudes/proces-nurember
De Nuremberg à aujourd’hui : Les “comités d’éthique” dans l’expérimentation humaine
(4) Gaston Bachelard, La formation de l’esprit scientifique. Contribution à une psychanalyse de la connaissance objective, Librairie philosophique J. Vrin, 1934
M.-C. Chemtob-Concé et A. Cailleux, « L’impact des nouvelles dispositions de la loi relative aux recherches impliquant la personne humaine », Médecine Droit, vol. 2013, no 119, p. 30‑34, mars 2013.
H. Chneiweiss, « Une éthique de dialogue science-société », médecine/sciences, vol. 31, p. 40‑45, juin 2015.
H. Combrisson, « Expérimentation animale, peut-on s’en passer ? », Transfus. Clin. Biol., vol. 24, no 3, p. 93‑95, sept. 2017.
P. Corvol, « L’intégrité scientifique : de l’entre-soi à une approche systémique », médecine/sciences, vol. 33, no 8‑9, p. 689‑690, août 2017.
C. Gozlan, « L’autonomie de la recherche scientifique en débats : évaluer l’impact social de la science ? », Sociol. Trav., vol. 57, no 2, p. 151‑174, avr. 2015.
C. Hervé, « Une visée éthique de la génétique en médecine : comment la penser ? », Ethics Med. Public Health, vol. 2, no 3, p. 327‑328, juillet 2016.
C. Hervé, D. C. Thomasma, et D. N. Weisstub, Visions éthiques de la personne [Texte imprimé]. Paris : Budapest : Torino : l’Harmattan. 2002, cop. 2001., 2002.
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J.-Y. Naudet, Sciences et éthique [Texte imprimé] : actes du quatorzième Colloque d’éthique économique, Aix-en-Provence, 28 et 29 juin 2007. Aix-en-Provence : Librairie de l’Université d’Aix-en-Provence. 2008., 2008.
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