Mitochondries vous dites ?
Par Guy Lenaers
Par Damien DUFOUR - Le 1 février 2020
Travaillant dans le domaine de la recherche biomédicale et étant végétarien, je suis tous les jours confronté à un dilemme moral : est-ce justifié d’utiliser des animaux pour la recherche scientifique ? En effet, l’une des méthodes utilisées par les chercheurs en biologie afin de mieux comprendre le corps humain est l’expérimentation animale. Mais pourquoi utilise-t-on des animaux ?
Tout d’abord, regardons ce que la loi française définit comme étant l’expérimentation animale. L’Article R.* 214-88 du Décret n° 2003-768 [1] (appliqué de la directive européenne de 1986 86/609/EEC) décrit cette expérience comme : “toute utilisation d’un animal vertébré à des fins expérimentales ou à d’autres fins scientifiques. […] La suppression des douleurs, de l’angoisse, des souffrances ou dommages durables du fait de l’utilisation efficace d’un anesthésique, d’un analgésique ou d’autres méthodes ne place pas l’utilisation d’un animal en dehors du champ d’application de la présente définition.”
Certaines personnes militent vivement contre l’expérimentation animale pour différentes raisons. Tout d’abord, certains déplorent le fait que les résultats obtenus chez l’animal ne soient pas toujours applicables à l’Homme. De plus, les expériences peuvent induire des douleurs et du stress aux animaux. La dernière raison est l’existence de méthodes alternatives à l’expérimentation animale (in vitro, in silico, épidémiologie).
Et pourtant, l’expérimentation animale s’est révélée utile et nécessaire à l’avancée scientifique. Elle a engendré de nombreux prix Nobel récompensant par exemple les découvertes de l’insuline en 1923, de la pénicilline en 1945, ou des cellules souches pluripotentes induites en 2012 [2]. Encore aujourd’hui, certaines méthodes dites alternatives, comme la culture cellulaire, nécessitent l’utilisation d’animaux afin d’obtenir les facteurs de croissance nécessaire à la survie des cellules.
La recherche en biologie est capitale afin de faire face aux défis à venir comme le réchauffement climatique ou la résistance aux antibiotiques. L’expérimentation animale est couramment utilisée et doit donc être réglementée afin d’éviter les dérives.
En effet, en Europe, tout personnel doit être formé et doit respecter la règle des 3R, mise en place en 1959 par Russell & Burch [3]
Toutefois, le recours à des modèles animaux soulève plusieurs questions.
Les résultats obtenus sont-ils applicables à l’Homme?
Les modèles animaux sont choisis de façon pertinente pour étudier une pathologie précise, et sont souvent très proches génétiquement entre eux afin d’avoir des résultats fiables permettant de diminuer la variabilité au sein d’un groupe, et ainsi le nombre d’animaux utilisés. Il existe des animaux qui développent naturellement une pathologie, ils seront donc plus adaptés à l’étude de cette dernière. On peut citer les souris ob/ob qui développent une obésité suite à une mutation génétique. [4]
L’expérimentateur est tenu de connaître les limites des modèles qu’il utilise. Par exemple, dans l’étude de l’hypertension artérielle, nous savons que chez l’Homme, c’est une pathologie multifactorielle tandis que celle induite chez l’animal n’aura qu’une cause (génétique, environnementale.. etc). Il doit également être à même de détecter les signes de détresse des animaux afin d’arrêter l’expérience si nécessaire. Ainsi avant toute expérience, des points limites sont définis concernant par exemple le poids de l’animal, son attitude, son aspect, ses signes cliniques. [3] [5]
Enfin, tout projet incluant de l’expérimentation animale nécessite la validation préalable par un comité d’éthique régionale et doit ensuite être soumis au ministère de la recherche. Le chercheur désirant débuter un projet doit entre autre :
L’accord est donné pour 5 ans et toute modification doit être mentionnée. [6]
Les technologies actuelles ne permettent-elles pas de s’affranchir des animaux?
Il existe des méthodes dites alternatives à l’expérimentation animale comme les méthodes de culture cellulaire in vitro ou, les approches in silico. Ces dernières, réalisées en amont de toute expérimentation animale, permettent de collecter de nombreuses informations. Elles sont toutefois complémentaires à l’expérimentation animale, car un tissu généré artificiellement (culture cellulaire in vitro) ou un modèle informatique (approche in silico) ne sont souvent pas assez performants pour atteindre la complexité d’un organisme vivant qui possède de nombreux moyens de compensation et de régulation.
Les cellules sont souvent issues de tumeurs et dites “immortalisées”, en effet mettre une cellule en culture n’est possible que sur un cours laps de temps. Les cellules immortalisées sont des populations clonales présentant de nombreuses mutations génétiques permettant leur maintien, elles ne pourront donc modéliser qu’en partie la physiologie de cellules saines.
L’expérimentation ne peut-elle pas être réalisée directement sur les humains?
Dans le cadre de l’expérimentation animale, des paramètres sont recréés afin de modéliser des phénomènes et d’établir un lien de cause à effet. Chez l’Homme, la plupart des études sont épidémiologiques, c’est à dire qu’on établit un lien de corrélation entre deux facteurs mais on ne contrôle pas la multitude de paramètres extérieures. Les études randomisées consistent quant à elles à séparer une population en deux de façon aléatoire et d’attribuer une condition à un groupe mais pas à l’autre. Cependant, il est compliqué d’imposer un mode de vie à un groupe et d’être sûr qu’il respectera les conditions expérimentales.
Les modèles animaux permettent, eux, de contrôler au mieux les paramètres extérieurs pouvant modifier les conclusions et également de tester le rôle d’un gène ou d’une mutation retrouvée dans une pathologie directement en induisant cette mutation. Là où l’expérimentation animale crée une condition et contrôle tous les paramètres externes, l’épidémiologie apporte des corrélations et ne permet donc pas de dresser de conclusions.
La souffrance engendrée est-elle nécessaire?
Il est à noter qu’une grande partie des résultats est obtenue par analyse des organes qui sont prélevés post mortem. [7] Ceci présuppose que la mort des animaux doit être rapide, sans douleur, ni souffrance, ni anxiété.
De plus, les résultats issus de l’expérimentation animale ont permis, et permettent encore, de soigner l’Homme et les animaux non humains, il est donc d’un point de vue utilitariste logique de continuer à utiliser des animaux si les alternatives ne permettent pas d’explorer un phénomène et si cela permet d’améliorer le bien-être du plus grand nombre.
Finalement, l’être humain fait part entière d’un écosystème. Dans ce cadre, il est impossible d’exister sans avoir un effet sur cet écosystème. Toutefois, l’Homme ayant conscience de cet impact, il est nécessaire qu’il fasse son maximum pour que cet impact soit le plus faible possible. L’expérimentation animale engendre la mort d’animaux non humains mais permet également de soigner des animaux et des humains, ainsi que de comprendre les relations au sein d’un écosystème afin de le préserver. Il est important de continuer à trouver des méthodes alternatives pour diminuer le nombre d’animaux utilisés jusqu’à pouvoir s’en passer. Néanmoins, il existe des obstacles à l’introduction de ces méthodes qui sont le coût, les limites technologiques et la capacité à recréer la complexité du vivant.
Pour aller plus loin
http://extranet.inserm.fr/recherche-pre-clinique/l-experimentation-animale/
http://www.animalresearch.info/fr
http://www.felasa.eu/
http://www.understandinganimalresearch.org.uk/
Des exemples de développement des méthodes alternatives
Goh, J.-Y., Weaver, R.J., Dixon, L., Platt, N.J., and Roberts, R.A. (2015). Development and use of in vitro alternatives to animal testing by the pharmaceutical industry 1980–2013. Toxicol. Res. 4, 1297–1307.
http://www.recherche-animale.org/sites/default/files/alternatives_test_animals_2014_en.pdf
La liste des études qui ont bénéficié de fonds par le CAAT (centre for alternative to animal testing)
http://caat.jhsph.edu/programs/grants/2015-2016/index.html
Iijima, K., Liu, H.-P., Chiang, A.-S., Hearn, S.A., Konsolaki, M., and Zhong, Y. (2004). Dissecting the pathological effects of human A 40 and A 42 in Drosophila: A potential model for Alzheimer’s disease. Proceedings of the National Academy of Sciences 101, 6623–6628.
Références
[1] Article R.* 214-88 du Décret n° 2003-768 du 1er août 2003 relatif à la partie Réglementaire du livre II du code rural https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=02ADBB63A9F566EE5E4C07E2BC9A6D7B.tpdila14v_2?cidTexte=JORFTEXT000000597743&dateTexte=20030807&categorieLien=id#JORFTEXT000000597743
[2] http://www.animalresearch.info/fr/avancees-medicales/prix-nobel/
[3] Site Internet de l’INSERM
La règle des 3 R : réduire, raffiner, remplacer
[4] Lindstrom, P. (2007) The Physiology of Obese-Hyperglycemic Mice [ob/ob Mice], Scientific World Journal 7, 666-685
[5] http://www.nc3rs.org.uk/grimacescales
[6] Art R214-122 à 126 du Décret n° 2013-118 du 1er février 2013 relatif à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques Décret n° 2013-118 du 1er février 2013 relatif à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques
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