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Profiter d’une pause pour aller dans l’espace

Par Mélissa Court - Le 17 mai 2020

« Que sert à l’Homme de gagner l’univers s’il n’a pas de culotte pour passer l’hiver ? » Proverbe québécois

Cela fait plusieurs décennies que nous travaillons à la conquête d’autres planètes. Mais pour l’instant, c’est surtout via la science fiction que de nombreux auteurs imaginent des écosystèmes extraterrestres comme dans de nombreux épisodes de la célèbre série télévisée Doctor Who.

Aujourd’hui, le premier obstacle que nous rencontrons est la durée du voyage (4 petits jours pour aller sur la Lune, mais 260 pour atteindre la planète rouge). Il s’agirait donc de trouver un moyen pour que des organismes puissent survivre à une telle durée avec un minimum de provisions, car la masse est également un élément à ne pas négliger lors d’un vol. Il faut environ 1 million de Joules par kilogramme pour envoyer ce kilogramme à 100 000 km d’altitude (limite de l’espace) ; il y a donc un intérêt pratique et économique à transporter des individus sous des formes moins lourdes, et/ou dont les besoins en ressources seront minimums durant le trajet. Les principaux risques physiologiques auxquels les organismes devront également faire face sont les éruptions solaires, les rayons cosmiques et l’impesanteur. Il est nécessaire pour la viabilité du projet que les espèces sélectionnées pour le voyage soient de composition suffisamment solide, ou sous une forme plus résistante comme la diapause. D’autres organismes peuvent également résister à des conditions extrêmes sur Terre notamment les radiations grâce à un système de réparation optimal de leur génome, tel que Deinococcus radiodurans ; ou Bacillus infernus qui survit à plus de 2000 m de profondeur dans le sol.

La diapause est une adaptation que l’on retrouve dans un large spectre de groupes taxonomiques, allant des végétaux supérieurs aux animaux (Alekseev et al., 2019). Il s’agit d’un ralentissement de l’organisme qui ressemble à un endormissement profond et qui permet à cet organisme de résister à des conditions environnementales qui lui sont peu favorables (froid, sécheresse, anoxie, hypersalinité…). Elle est souvent régulée par des mécanismes hormonaux ou des stimulations dues à l’environnement (par exemple l’augmentation de la température).

La diapause peut prendre plusieurs formes : beaucoup de petits organismes aquatiques tels que les rotifères, les daphnies ou les artémies fabriquent des « oeufs de durée », qui sont produits lorsque les conditions ne sont pas optimales et pourront éclore une fois que l’environnement sera redevenu favorable. Ces oeufs, qui sédimentent parfois au fond des lacs, représentent une véritable banque génétique qui peut traverser les âges. S’ils peuvent résister pendant des années à un milieu défavorable, des chercheurs ont envisagé que les “oeufs de durée” pourraient également survivre à un petit voyage spatial (Baranov et al., 2009)…

Grâce à l’avancée des biotechnologies, il devient envisageable aujourd’hui d’envoyer des extraits, échantillons voire membres de la biosphère terrestre ailleurs. Le phénomène de dormance pouvant être induit par des facteurs extérieurs, certains chercheurs pensent qu’avec des connaissances suffisantes sur ces mécanismes nous pourrions déclencher et arrêter une diapause chez des individus dans des écosystèmes artificiels contrôlés.

a) Daphnia magna portant des œufs sous-cutanés. b) D. magna portant un éphippium immature (structure protectrice renfermant deux œufs en dormance). Holderbau et al. (2015). 

Plusieurs points sont aujourd’hui étudiés dans le cadre de programmes d’astrobiologie (Alekseev et Pinel-Alloul 2019, chapt. 6)  : 

° L’étude de la dormance dans le cadre de maintien de systèmes écologiques 

° La dormance et l’adaptation de vertébrés à la modification de leur métabolisme 

° La sécurité microbiologique des vols spatiaux

° Les problèmes de quarantaine planétaire et interplanétaire

° La recherche de vie extraterrestre

Parmi ces différents programmes de recherche, Novikova et son équipe ont exposé des unicellulaires, des plantes, des insectes, ainsi que des oeufs de crustacés et de vertébrés à des conditions spatiales pendant 13 et 18 mois. Les résultats montrent que la plupart des organismes testés en sont ressorti viables (Novikova et al., 2011). Il n’y a pas que les formes en dormance d’individus unicellulaires qui pourraient résister à des voyages intersidéraux de longue durée, mais également celles d’organismes plus complexes. Cependant, les oeufs de poisson n’ont pas résisté à une durée supérieure à 13 mois ; probablement car leur temps de diapause moyen dans les conditions naturelles est plutôt de l’ordre de 6 mois. Il reste des limites aux possibilités de survie des organismes, selon leur résistance à des dormances plus ou moins longues.

D’autres études menées dans le cadre du projet Biorisk à Moscou en Russie ont été les premières à mettre en évidence que les plantes, les arthropodes, les spores microbiennes et fongiques, ainsi que les stades dormants des plantes et animaux aquatiques peuvent survivre à des conditions spatiales pendant une durée de 23 mois (Baranov et al. 2009) (ce qui est bien supérieur à un trajet Terre-Mars). Ils ont également conclu que le rayonnement ultraviolet est le facteur le plus hostile à la matière vivante dans un environnement spatial.

Finalement, le concept de dormance semble présenter un réel intérêt pour la “colonisation” d’autres systèmes planétaires. Si des organismes aussi différents que des algues, des bactéries, voire même des invertébrés peuvent survivre à long terme dans des conditions extrêmes, il y aurait une possibilité de transferts interplanétaires de certaines formes de vie. Cela pourrait se produire via des comètes, des météorites, ou suite aux voyages d’origine humaine. Cependant, les études menées pour l’instant se penchent principalement sur la survie au voyage spatial, mais pas au développement de ces organismes sur d’autres planètes, qui présentent des conditions extrêmement différentes d’une sortie de diapause sur Terre après un voyage dans l’espace. Il reste encore de larges pans d’études de l’exobiologie à explorer afin de mieux comprendre ces possibles voyages interplanétaires. De plus, ces résultats sur l’étude de la dormance permettent d’envisager la recherche exobiologique sous d’autres formes de vie présentes en “diapause” qui ne seraient pas encore détectées.

Sources

Alekseev, V. R., & Pinel-Alloul, B. (Eds.). (2019). Dormancy in Aquatic Organisms. Theory, Human Use and Modeling. Springer International Publishing.

https://doi.org/10.1007/978-3-030-21213-1.

Baranov, V. M., Novikova, N. D., Polikarpov, N. A., Sychev, V. N., Levinskikh, M. A., Alekseev, V. R., & Grigor’Ev, A. I. (2009, June). The biorisk experiment: 13-month exposure of resting forms of organism on the outer side of the Russian segment of the international space station: preliminary results. In Doklady Biological Sciences (Vol. 426, No. 1, p. 267). Springer Science & Business Media.

https://doi.org/10.1134/S0012496609030223.

Cox, M., Battista, J. Deinococcus radiodurans — the consummate survivor. Nat Rev Microbiol 3, 882–892 (2005).

https://doi.org/10.1038/nrmicro1264

Lubzens, E., Cerda, J., & Clark, M. (Eds.). (2010). Dormancy and Resistance in Harsh Environments. Topics in Current Genetics. doi:10.1007/978-3-642-12422-8

Novikova, N., Gusev, O., Polikarpov, N., Deshevaya, E., Levinskikh, M., Alekseev, V., … & Grigoriev, А. (2011). Survival of dormant organisms after long-term exposure to the space environment. Acta Astronautica, 68 (9-10), 1574-1580.

https://doi.org/10.1016/j.actaastro.2010.05.019.

Wikipédia. (2020). Mission habitée vers Mars. Consulté sur https://fr.wikipedia.org/wiki/Mission_habit%C3%A9e_vers_Mars

Image de Daphnia : Chronic Responses of Daphnia magna Under Dietary Exposure to Leaves of a Transgenic (Event MON810) Bt–Maize Hybrid and its Conventional Near-Isoline. Journal of Toxicology and Environmental Health. Part a, 78, 993 – 1007.

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