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Immersion dans le plus grand et ancien herbier du monde

Par Alys BLANC - Le 29 juin 2024

Fort de son patrimoine, le Muséum National d’Histoire Naturelle français possède le plus grand herbier du monde. Florian Jabbour, enseignant chercheur et conservateur de cet herbier, nous fait entrer dans ces lieux. De même, Lanto Randriamanana, doctorant, montre l’importance cruciale de cette ressource dans ses travaux de recherche.

 

À la sortie du métro Jussieu, en longeant la prestigieuse Faculté de la Sorbonne, vos pas vous mènent vers l’un des sites historiques les plus emblématiques de la capitale : les anciens jardins du Roi, aujourd’hui connus sous le nom du Jardin des Plantes. À mesure que vous traversez ce parc, vos yeux se posent sur un édifice imposant : l’Herbier. C’est là que Florian Jabbour m’accueille pour une découverte de ce lieu passionnant pour tous les biologistes. Au sommet des escaliers, nous surplombons une grande table en bois débordant d’échantillons de plantes et de papiers volants, tandis qu’une porte laisse entrevoir le bureau de Florian. À quelques pas de là, pas moins de 8 millions de spécimens de végétaux reposent dans des conditions de conservation optimales.

« Je me perçois plus comme un biologiste de l’évolution que comme un botaniste » affirme Florian Jabbour.

            Florian Jabbour est enseignant-chercheur. L’envie de diffuser les connaissances dans le domaine de l’évolution et plus largement de la biologie le passionne. D’origine franco-libanaise, arrivé en France, il réalise une prépa BCPST (Biologie, Chimie, Physique et Sciences de la Terre) pour devenir ingénieur agronome. Pendant sa dernière année d’école d’ingénieur, il réalise un master en évolution, puis une thèse sur les plantes, un peu par hasard.

Contrairement à ses années doctorales, ses activités ne se concentrent plus sur la pratique en laboratoire, telle que la réalisation d’analyses moléculaires comme les PCR. « Cependant, » précise-t-il, « j’ai préservé une pratique qui me tient à cœur : la dissection florale et le suivi du développement floral. C’est là que réside ma passion pour la botanique : observer l’évolution des formes florales au fil de leur développement. Même dans mon bureau, je prends toujours plaisir à m’installer devant la binoculaire pour disséquer et réaliser mes croquis. Ensuite, c’est au tour du microscope électronique à balayage. »

Être conservateur de l'Herbier du Muséum (MNHN)

La conservation d’une collection telle que l’herbier comporte plusieurs missions importantes. Tout d’abord, il est crucial de maintenir la taxonomie à jour. La taxonomie est le système qui classe les êtres vivants en groupes selon leurs similitudes et leurs relations évolutives. Ce système est constamment révisé et affiné grâce aux recherches en cours. Dans l’herbier, on trouve parfois des espèces non classées qui ont été identifiées au fil de divers travaux ; Florian est chargé de les replacer dans leur groupe taxonomique approprié.

"Mon devoir en tant que conservateur c'est d'ouvrir cette collection à l'extérieur, c'est une collection patrimoniale."

L’accueil des visiteurs au sein de ces collections revêt d’une importance capitale, qu’ils soient des habitués à qui il suffit d’ouvrir les portes ou des novices. En cas de novices, Florian prend en charge leur formation ou même réalise les manipulations à leur place.

L’objectif est de concilier la préservation des spécimens dans leur meilleur état tout en les rendant accessibles au plus grand nombre pour enrichir le domaine des sciences. C’est un défi quotidien auquel font face tous les conservateurs de collections, comme ceux de l’herbier du Muséum.

Quelles sont les origines de ces collections ?

Vue cavalière du Jardin du Roi. Frédéric Scalberge (1542-1640) 1636 Bibliothèque du Muséum national d'histoire naturelle

Vue cavalière du Jardin du Roi. Frédéric Scalberge (1542-1640) 1636 Bibliothèque du Muséum national d’histoire naturelle

L’intérêt pour les plantes vient de leur capacité médicinale, les premiers herbiers sont réalisés pour en décrire leurs bienfaits. En 1683, c’est Joseph Pitton de Tournefort qui débute cette aventure. Nommé botaniste au Jardin du Roi, il fait partie des cabinets d’histoire naturelle, un collectif de botanistes annotant les échantillons et décrivant les nouvelles espèces. Le Jardin du Roi étant truffé de plantes exotiques, l’herbier devient florissant. 450 ans après, l’Herbier du Muséum continue de s’enrichir sous la supervision des botanistes chevronnés.

« En français, malheureusement, le terme herbier désigne trois choses différentes emboitées les unes dans les autres » dit Florian.

 L’herbier se réfère à des plantes séchées disposées sur une feuille de manière à être identifiables et préservées, constituant ainsi un objet tangible. Il représente également une collection de plantes séchées sur du papier, une pratique que chacun a pu réaliser au cours de sa scolarité. Toutes les collections de plantes séchées du Muséum, y compris les collections annexes telles que la mycologie (étude des champignons), sont regroupées dans un même bâtiment, appelé l’Herbier. Ainsi, l’Herbier est à la fois un bâtiment, des collections et des planches de plantes séchées.

Les collections du Muséum s’enrichissent grâce aux legs de personnes décédées, d’anciens passionnés ainsi que par le biais d’expéditions scientifiques. « Lors de ces expéditions, ce ne sont pas nécessairement des botanistes qui nous aident à trouver les spécimens recherchés, mais souvent des habitants locaux. Ce sont eux qui, grâce à leur connaissance du terrain, nous conduisent en 4×4 jusqu’aux endroits où ils ont aperçu les plantes que nous cherchons. »

Comment l'Herbier est-il organisé ?

L’Herbier est organisé en de vastes couloirs, équipés de rayonnages mobiles déplaçables à l’aide de manivelles. Telles les péripéties d’Indiana Jones, Florian actionne ces immenses étagères mobiles, regroupant les spécimens par famille et genre. À l’intérieur des étagères, des pochettes de différentes couleurs s’entassent. Chaque couleur correspond à une région du monde d’où proviennent les spécimens contenus dans la pochette. Parmi eux, certains sont marqués du terme « TYPE », désignant les spécimens utilisés pour la description de l’espèce, faisant ainsi office de référence.

En plus de l’Herbier principal, plusieurs collections annexes sont présentes. La Xylothèque abrite une collection de bois séchés, l’Histothèque renferme des échantillons de tissus biologiques, la Palinothèque conserve le pollen, la Carpothèque stocke les fruits et une Alcothèque abrite tous les échantillons conservés dans de l’alcool.

Avant de rejoindre l’une de ces étagères, les échantillons sont séchés et les scientifiques prennent soin de consigner les données précieuses qui peuvent être perdues après ce processus, telles que la senteur, la couleur, l’environnement de récolte, ainsi que la production de nectar ou d’huile. Ces informations sont d’une importance capitale pour une compréhension approfondie des interactions qu’ils entretiennent avec les pollinisateurs.

Concrètement, comment sont utilisées ces ressources ?

Les collections ont une triple utilité : celle de la recherche, de l’enseignement / diffusion et de l’expertise. Dans le cadre d’un enseignement ou de la diffusion d’une plante possédée, un spécimen est un plus pour une meilleure compréhension de ses structures. L’expertise est une affaire médicolégale, par exemple lorsqu’un objet potentiellement lié à une enquête est découvert dans une rivière, il est souvent recouvert de pollens ou d’algues. La collection sert alors de référence pour localiser le lieu d’origine de cet objet.

La plus évidente des 3 est surement celle de la recherche. « Il existe une multitude d’applications possibles pour les collections. Les premières ont été établies au 16ᵉ siècle pour documenter la diversité des plantes médicinales dans le jardin du roi où nous nous trouvons actuellement. Aujourd’hui, nous collectons pour extraire de l’ADN ou pour étudier les composés chimiques des parties végétales. Nous pouvons mener toute une gamme d’études sur une plante séchée : moléculaires, morphologiques, anatomiques, chimiques. Lorsque les racines sont encore légèrement recouvertes de terre, nous pouvons même réaliser des études anatomiques et des analyses des sols », explique Florian avec enthousiasme.

« En tant que doctorant, les collections me permettent d’avancer sur ma thèse sans être sur le terrain » déclare Lanto Randriamanana

Lanto Randriamanana est doctorant et réalise sa thèse sous la direction de Florian. D’origine malgache, il réalisait auparavant des cultures de vanilles, comme connue dans ce pays. Il réalise des études le conduisant à cette thèse sur une plante, cousine du café largement méconnue et elle aussi originaire de Madagascar. Les dernières études à son sujet datent du XXème siècle, ce qui rend l’étude de Lanto d’autant plus intéressante.

Après des expéditions sur le terrain, il contribue aux collections en préparant les herbiers de ses récoltes et en les comparant à ceux déjà présents. Certains spécimens demeurent non identifiés dans ces collections, et c’est à Lanto qu’incombe la tâche de les classifier, en se basant sur des caractéristiques telles que les fruits ou en réalisant des analyses moléculaires lorsque nécessaire. L’étude des collections permet ainsi de mieux appréhender le niveau de connaissances de la communauté scientifique sur cette espèce, et par conséquent, de mieux comprendre son histoire et sa distribution géographique, aussi bien dans le passé que dans le présent.

Quelle est votre plante préférée ?

« Je n’aime pas trop les fleurs, je trouve ça trop exubérant parfois vulgaire. Les orchidées qu’on offre m’agresse un petit peu, je trouve ça trop. Je dirais une plante de Syrie, Delphinum pigmium. Je l’étudie depuis 20 ans. C’est aussi émouvant d’avoir dans l’herbier des choses récoltées, il y a 150 ans, provenant de ma région natale. » répond Florian. Lanto, quant à lui, se tourne vers une orchidée. Malgré cette divergence de préférences, l’Herbier abrite huit millions de spécimens variés, répondant ainsi à tous les goûts.

Rédigé par Alys BLANC

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