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[Concours Culture Santé] L’homme-machine

Par Matilde Lima de Albuquerque - Le 11 octobre 2017

Au premier trimestre 2017, l’Amicale Paris Sciences – l’association d’étudiants affiliée à la licence Sciences pour la Santé de l’université Paris V Descartes – a organisé le concours Culture Santé, un concours de vulgarisation scientifique à destination de ses étudiants. Indésciences a eu le plaisir de s’associer à cet évènement qui correspond tout à fait aux principes et à la dynamique que nous souhaitons défendre pour apporter une « nouvelle » diffusion des sciences de qualité auprès des étudiants. Dans le cadre de notre partenariat nous vous présentons des articles qui ont été récompensés par un jury composé de membres de l’équipe pédagogique de l’Université et d’un membre de notre équipe. Ces articles sont publiés dans le cadre de notre partenariat et n’ont pas été relus par notre équipe rédactionnelle avant publication comme cela est le cas pour les articles publiés sur notre blog. Nous vos souhaitons une bonne lecture ! 


Le coup d’envoi de la coupe du monde de football 2014 a été donné par un adolescent paralysé des jambes. Cet exploit a été rendu possible car il pilotait un exosquelette contrôlé par la pensée qui lui permettait de se déplacer. Les récentes découvertes en informatique et en neurosciences ont en effet permis de faire des avancées considérables dans le domaine des membres artificiels. Grâce à l’utilisation de microprocesseurs et d’une liaison directe aux nerfs, de nouveaux types de prothèses très maniables et procurant une sensation proche du naturel sont désormais en cours de développement.

UNE NOUVELLE INTERFACE

Aire cérébrale motrice de la main (auteur : Pancrat)

En 2016, des chercheurs de l’Université John Hopkins ont annoncé avoir mis au point une prothèse de main contrôlée par le cerveau capable de bouger chaque doigt indépendamment. Pour y arriver, les chercheurs ont tout d’abord réalisé une cartographie de la zone du cerveau contrôlant les mouvements du membre amputé. Ils sont alors parvenus à localiser précisément celles permettant de bouger chaque doigt et ont ensuite programmé la prothèse pour qu’elle bouge le « doigt » artificiel correspondant lorsqu’elle reçoit un signal provenant de la zone associée. Il est alors possible de réaliser des mouvements complexes et d’attraper des objets fragiles ou de petite taille. Son fonctionnement est également très intuitif, en effet elle répond avec 76% de précision dès la première utilisation ! D’après ces chercheurs, c’est la première fois qu’une prothèse permet de réaliser des mouvements aussi précis sans un entraînement intensif. En effet, les anciennes prothèses se basaient majoritairement sur un électromyogramme (EMG), c’est-à-dire que des électrodes placées sur la peau captaient les faibles signaux électriques émis lors des contractions des muscles préservés proches de la prothèse. Ces signaux étaient ensuite interprétés et traduits par un processeur qui actionnait les différents moteurs du membre artificiel. Ce type de contrôle par EMG nécessitait un apprentissage très long et fastidieux pour permettre le contrôle d’un « nouveau membre ». De plus, la main étant un des organes les plus mobiles et les plus finement contrôlés du corps, cette technique n’était pas suffisamment précise pour conserver toute son agilité.


Des blattes télécommandées

Une entreprise américaine propose des kits de création de « blattes télécommandées » : grâce à des électrodes à placer sur les nerfs sensitifs de ses antennes, il est possible de contrôler le déplacement de l’insecte via une application pour smartphone. Lorsqu’on stimule l’antenne gauche, il fera un mouvement d’évitement vers la droite afin d’éviter un « obstacle fantôme » généré par la stimulation de son antenne. Cependant, cette réaction d’évitement s’atténue peu à peu et la blatte se déplace à nouveau normalement après quelques minutes. Cette expérience illustre l’un des moyens dont dispose le cerveau pour contrôler les mouvements en cours de réalisation : la vue, en voyant qu’il n’y a aucun obstacle la blatte n’a pas dévié de sa trajectoire malgré la sensation perçue par son antenne.


DES SENSATIONS TACTILES

Une autre problématique importante liée à l’utilisation d’une prothèse est l’absence de sensations tactiles. En temps normal, plusieurs mécanismes permettent de contrôler la réalisation d’un mouvement : la vue, le toucher, et la proprioception (le fait de sentir son propre corps). Lorsqu’on réalise un mouvement, qu’on lève le bras par exemple, notre cerveau reçoit en permanence des informations proprioceptives relatives à sa position, son orientation, les sensations de douleurs perçues, et tactiles relatives à la forme et la texture des objets. En s’ajoutant aux informations visuelles, les informations tactiles et proprioceptives permettent d’ajuster la réalisation du mouvement et évitent, par exemple, de faire un mouvement trop ample et de se cogner, ou d’écraser sa biscotte le matin. Chez les personnes portant une prothèse, ces informations sont absentes, seule la vue peut donner des informations sur la réalisation du mouvement en cours, c’est pourquoi il leur est très difficile de contrôler un mouvement qu’elles ne sentent pas.

Pour pallier à ce problème, des chercheurs du BioRobotics Institute, ont montré en 2014 qu’il était possible de générer des sensations tactiles à partir d’électrodes en stimulant les nerfs sensitifs du bras. Cela permettrait de moduler plus efficacement la force exercée. Les tests ont aussi montré une capacité de perception complexe des formes et des textures grâce à des capteurs placés sur la main artificielle. La prothèse procure alors une sensation proche du naturel et, outre un contrôle plus fin des mouvements, cette technique augmente significativement le confort et la confiance en ces membres artificiels en permettant aux personnes fortement amputées ou tétraplégiques de sentir à nouveau.

PROTHESES ET HOMMES AUGMENTES

Les prothèses des membres supérieures ne sont pas les seules à être perfectionnées, celles pour les membres inférieurs, comme les jambes artificielles utilisées par les coureurs sportifs, ont aussi connu de nettes améliorations ces dernières années. Jusqu’à présent, ceux-ci concourraient dans les mêmes catégories olympiques que les sportifs valides, mais à présent, les prothèses sont tellement perfectionnées qu’elles confèrent un avantage considérable à ceux qui les portent. En 2016 a donc été organisé le premier Cybathlon à Zurich : la première compétition pour athlètes « bioniques », dans laquelle amputés et paralysés se sont affrontés dans 6 catégories où la technologie dont ils étaient équipés comptait autant, voire plus, que leurs capacités purement physiques.

Sprinter portant une prothèse de jambe adaptée à la course (crédit photo : Tim Hipps, FMWRC Public Affairs)

Mais, au-delà de l’aspect financier, se posent des problèmes identitaires, notamment à cause des microprocesseurs intégrés qui amènent les utilisateurs à se poser des questions : « où s’arrête mon corps ? Cette jambe métallique est-elle un outil ou fait-elle partie de moi ? ». En effet, il peut être difficile de s’approprier ce nouveau membre, celui-ci peut même être considéré comme étranger chez les personnes qui n’ont pas perdu un membre mais sont nées sans, suite à une agénésie. Ces personnes peuvent se considérer comme entières, et ne portent une prothèse que pour ne pas se sentir incomplètes aux yeux des autres. Le rôle social de la prothèse est alors au moins aussi important que son rôle fonctionnel.Le fait de porter une prothèse très perfectionnée qui nous rendrait capables de nous déplacer plus vite ou de réaliser des prouesses physiques paraît tentante. C’est en tout cas ce qu’on pourrait croire en voyant les jambes prothétiques de Hugh Herr, ancien prodige de l’escalade amputé des deux jambes suite à un accident, aujourd’hui à la tête du laboratoire de bio-mécanique du MIT. Grâce à des crampons spéciaux, elles lui permettent de s’accrocher et de grimper beaucoup plus facilement qu’avant son accident, cependant, il confie se sentir incomplet car même si ses prothèses peuvent faire de lui un prodige de l’escalade, elles ne sont pas adaptées à la marche. Il doit donc littéralement changer de jambes entre chaque activité, comme c’est le cas pour beaucoup d’utilisateurs de prothèse. Celles-ci coûtant généralement plusieurs milliers d’euros, ils doivent donc non seulement renoncer aux sports qu’ils aimaient, mais également à des joies simples comme danser lors d’un mariage ou courir après leurs enfants dans un parc. Herr et son équipe ont donc pour projet de créer une jambe bionique aussi polyvalente qu’une jambe humaine : la BiOM T2. Il s’agit d’une prothèse myoélectrique qui calcule en permanence la poussée exercée par l’hôte, l’inclinaison du sol et une multitude d’autres facteurs afin de générer une marche la plus naturelle possible. Tout le processus inconscient de stabilisation intervenant dans une jambe valide est ici recréé par un dispositif électro-mécanique constitué de 6 microprocesseurs greffé au corps. Il serait alors possible de réaliser la plupart des mouvements d’une jambe naturelle et cela éviterait d’avoir à changer de prothèse en fonction de l’activité.


La vallée dérangeante

Masahiro Mori, roboticien, a proposé dans les années 1970 une théorie nommée « vallée dérangeante », postulant qu’un observateur humain serait plus à l’aise face à un robot clairement artificiel que face à un humanoïde imparfait. Ce ne serait qu’au-delà d’un certain niveau de perfection dans l’imitation que les humanoïdes seraient mieux acceptés.

Même si cette théorie n’est pas prouvée scientifiquement, elle illustre un ressenti qu’on peut éprouver face à une prothèse : à moins qu’elle ne soit parfaite, un observateur remarquera toujours quelques défauts qui induiront chez lui une sorte de malaise car il ne sait pas comment la catégoriser. Au contraire si elle est clairement identifiable comme artificielle, la question ne se pose pas.


LE REGARD DES AUTRES

Le regard des autres peut être difficile à assumer, surtout pour les enfants. Ayant conscience de ce problème, Jon Schull a créé l’association e-NABLE qui propose aujourd’hui des modèles de prothèses mécaniques imprimés en 3D et sur mesure. Elles sont beaucoup moins complexes que celles précédemment décrites et permettent généralement juste d’ouvrir et fermer la main, mais sont beaucoup plus accessibles (environ 50€) et faciles à utiliser. Elles sont principalement destinées aux enfants car elles ne nécessitent pas de rééducation importante et peuvent être totalement personnalisées, ainsi les enfants qui en portent ont moins l’impression qu’il leur manque quelque chose, mais plutôt d’avoir quelque chose en plus.

De même que Herr, les fondateurs de e-NABLE aspirent plus à rendre aux amputés leur identité qu’à les réparer : “La bionique ne consiste pas qu’à nous rendre plus forts ou plus rapides. Nos moyens d’expression, notre sensibilité, notre humanité peuvent être transmis à travers des moyens électro-mécaniques” (Hugh Herr). Sophie de Oliveira Barata, designer, partage cette vision et propose sur son site Alternative Limb Project (Projet pour les Membres Alternatifs) une série de bras et de jambes aux habillages variés allant de l’ultra-réalisme à des créations fantasques, comme une jambe en porcelaine art-déco recouverte de motifs floraux. Sa démarche vise à transformer la stigmatisation du membre artificiel, habituellement perçu comme un poids, en un atout esthétique que chacun pourrait contempler et, paradoxalement, envier.

Ces nouvelles technologies combinant cerveau humain et systèmes informatiques permettront d’améliorer grandement la vie de milliers de personnes amputées ou paralysées. Mais, si elles sont pour l’instant destinées à « réparer » les vivants, l’ère des humains augmentés et des cyborgs semble se rapprocher à grands pas, apportant avec elle son lot d’interrogations et de potentialités. Sera-t-il un jour possible de dissocier le corps de la conscience et s’affranchir totalement d’une enveloppe charnelle ? Nul ne le sait aujourd’hui, mais comme Asimov l’a fait dire à un personnage dans Les cavernes d’acier : « Nous piétinerons éternellement aux frontières de l’Inconnu, cherchant à comprendre ce qui restera toujours incompréhensible. Et c’est précisément cela qui fait de nous des Hommes. »

SOURCES

Image de l’article : Prothèse de bras contrôlée par le cerveau, elle permet de saisir des petits objets et de bouger chaque doigt individuellement, crédit photo : Johns Hopkins University Applied Physics Laboratory (JHU/APL)

https://www.scientificamerican.com/article/world-cup-to-debut-mind-controlled-robotic-suit/Intro 

http://www.hopkinsmedicine.org/news/media/releases/mind_controlled_prosthetic_arm_moves_individual_fingers_

http://www.jhuapl.edu/prosthetics/patients/TMR.asp

https://backyardbrains.com/experiments/roboRoachSurgery

http://www.usine-digitale.fr/editorial/une-prothese-de-main-qui-procure-des-sensations-tactiles.N238247

http://stm.sciencemag.org/content/6/222/222ra19?sid=3334c22e-6f64-40ef-99ca-350375fbb95c

http://sites.arte.tv/futuremag/fr/protheses-bioniques-des-gueules-cassees-lhomme-augmente-futuremag

http://www.20minutes.fr/high-tech/1667599-20150817-impression-3d-premiere-prothese-main-50-euros-debarque-france

http://enablingthefuture.org/resources-2/hardware-sources/

http://sites.arte.tv/futuremag/fr/protheses-bioniques-des-gueules-cassees-lhomme-augmente-futuremag

http://www.androidscience.com/theuncannyvalley/proceedings2005/uncannyvalley.html

Paroles du personnage de Elijah Baley dans « Les cavernes d’acier » Isaac Asimov, J’ai lu, 1990 (page 305)

Images :

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Brain-Controlled_Prosthetic_Arm_2.jpg#filehistory

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Cortex_sensorimoteur1.jpg

https://backyardbrains.com/experiments/roboRoachSurgery

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Flickr_-_The_U.S._Army_-_U.S._Army_World_Class_Athlete_Program_Paralympic.jpg

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Mori_Uncanny_Valley.svg

Sources

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