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Perception consciente des contours illusoires

Par Joachim Bellet - Le 22 mars 2013

Pour percevoir le chien dalmatien, notre cerveau doit se représenter ses contours à partir de la forme de certaines taches noires. Cependant chaque tache noire est traitée par différents ensembles de neurones. Un problème qui se pose en neurosciences est de savoir comment le cerveau arrive à regrouper les différentes informations du champ visuel pour se représenter des objets distincts. C’est le problème du liage.

Un article publié en janvier 2013 dans The Journal of Neuroscience par Natalia Zaretskaya, Stuart Anstis, et Andreas Bartels propose d’étudier les corrélats neuronaux de la perception consciente d’un objet visuel perçu par ses contours illusoires.

Les auteurs ont étudié, par IRM fonctionnel, l’activation des aires cérébrales de 18 volontaires qui regardent une image constituée de points qui bougent de manière synchrone (figure 1). Elle a la propriété de pouvoir déclencher deux perceptions différentes : les sujets peuvent voir des points tournant chacun aux quatre coins du champs visuel ou percevoir deux carrés flottants dont les points représentent les angles.

figure1-perceptioncontours

Figure 1 : Les deux perceptions que peut induire l’image dont l’une est la vision de contours illusoires (percept global). La perception de l’un ou l’autre des percepts est totalement aléatoire. (Zaretskaya et al, The Journal of Neuroscience, 2013) Pour un exemple de stimulus similaire en mouvement.

Les sujet devaient presser un bouton lorsqu’ils percevaient le mouvement local des points et un autre lorsqu’ils percevaient le mouvement global des carrés. Les auteurs ont ainsi pu mettre en évidence une corrélation entre les aires du cerveau plus actives lorsque les sujets percevaient le mouvement global que lorsqu’ils percevaient le mouvement local (Figure 2).

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Figure 2: La percept global est corrélé avec l’activation du sulcus intrapariétal antérieur droit (aIPS). (Zaretskaya et al, The Journal of Neuroscience, 2013)

Les auteurs ont ensuite voulu savoir si l’activation de l ‘aIPS induisait la perception de carrés ou si au contraire la perception de carrés avait pour conséquence l’activation de cette aire. Ils n’ont en effet pour l’instant que montré une corrélation. Pour répondre à cette question, ils ont perturbé l’activité de cette aire chez les sujets par stimulation magnétique transcranienne (TMS). Il s’agit d’une technique indolore qui permet d’induire une impulsion magnétique à travers le crâne.

Les sujets étaient ensuite soumis au même stimulus et devaient continuer de presser un bouton pour la perception locale et l’autre pour la perception globale. Résultat : la TMS sur l’aIPS diminue significativement le temps que les sujets passent à percevoir le percept global. On en déduit que l’activité de l’aIPS induit la perception consciente d’une forme et non l’inverse. Les auteurs ont ainsi démontré que l’aIPS est impliqué dans le mécanisme de perception consciente des contours illusoires.

On observe aussi une diminution de l’activité cérébrale (en bleu dans la figure 2) dans les aires visuelles primaires lors de la perception globale par rapport à la perception locale. Cette différence d’activité ne peut pas être due au stimulus puisque celui-ci ne change jamais et vient donc probablement d’une modulation top-down (des aires supérieures vers les aires sensorielles). Les auteurs proposent deux hypothèses. La première explication serait que les aires supérieures font une prédiction de l’information transmise par les aires visuelles primaires et inhibent l’activité des neurones qui codent pour une information qui est déjà prédite. Si il y a une erreur dans la prédiction, l’activité des aires visuelles primaires n’est pas inhibée et un message d’erreur (de correction de la perception) est transmit. C’est le codage prédictif1 (Figure3). Il y a donc une diminution de l’activité des aires primaires quand la prédiction faite par l’aIPS s’avère correcte.

figure3-perceptioncontours

Figure 3 : Dans le modèle de codage prédictif, le stimulus est traité successivement par plusieurs aires cérébrales qui interprètent de plus en plus le signal. Une aire supérieure (H) a déjà une idée de la nature du stimulus (Prediction) et inhibe le signal envoyé par une aire inférieure (I) si celui-ci est redondant. Au final I n’envoie à H que la différence entre la réalité du stimulus et la prédiction de celui-ci (Prediction error). (Hohwy J et al, Cognition 2008)

La deuxième proposition (qui n’est pas incompatible avec la première) est que l’aIPS permet aux neurones des aires visuelles primaires de répondre différemment pour un même stimulus en fonction de la position des objets qui forment ce stimulus (figure 4).

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Figure 4: Dans les aires V1 et V2 deux neurones dont les champs récepteurs, représentés ici en rouge, vont réagir différemment pour un même stimulus en fonction du coté où est situé l’objet qui induit la différence de teinte dans le champs récepteurs. (Dong Y et al Journal of Vision 2008)

L’interprétation par les auteurs de ces résultats suggère que les mécanismes d’attention, de liage et de sélection d’un percept visuel auraient une base neurale commune dans l’aIPS .

Joachim Bellet

Sources

Natalia Zaretskaya, Stuart Anstis, Andreas Bartels (2013); Parietal Cortex Mediates Conscious Perception of Illusory Gestalt. The Journal of Neuroscience.

Pour plus d’information sur le codage prédictif :

Cours de Stanislas Dehaene du Collège de France

Hohwy J, Roepstorff A, Friston K (2008) Predictive coding explains binocular rivalry: an epistemological review. Cognition 108:687–701.

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