L’évolution n’est pas « juste » une théorie.
Par Clément Nestour
Par Pauline Granger - Le 14 mai 2014
Bonjour et bienvenue sur Indesciences Podcast. Aujourd’hui nous allons parler médecine et plus particulièrement d’une première mondiale, l’implantation du cœur artificiel Carmat conçu par le Professeur Alain Carpentier chez l’Homme. Pauline Granger et moi-même Pierre Chirsen avons eu le plaisir d’être accueillis par le Professeur Christian Latrémouille à l’Hôpital européen Georges Pompidou. Le Professeur Latrémouille a fait partie de l’équipe chirurgicale ayant effectuée cette premiére implantation. Vous allez pouvoir découvrir notre entretien tout de suite. Je vous retrouve à la fin de cette rencontre pour vous dire quelques mots concernant le podcast Indesciences. Bonne écoute.
Indésciences : Pouvez-vous nous dire quelques mots de votre parcours universitaire ?
Christian Latrémouille : Il est classique : j’ai fait ma première année de médecine à l’université Lariboisière à Paris 7 où j’ai continué mon cursus. Puis j’ai passé l’internat. J’ai été reçu en médecine générale à Paris, mais je voulais absolument faire de la chirurgie. Je suis donc parti à Lille où j’ai pu faire de la chirurgie. Au début, je voulais me destiner à la chirurgie générale – terme qui ne signifie plus rien aujourd’hui – ; elle consistait surtout à pratiquer la chirurgie viscérale. Or, je me rendais bien compte que le viscéral seul n’était pas très facile à exercer. Avant, c’était une voie royale pour la chirurgie mais désormais il fallait le coupler avec une autre matière. Je m’étais dit que je le couplerais avec le vasculaire parce que dans cette discipline, il y avait beaucoup de malades mais peu de chirurgiens.
Parce que je ne connaissais pas très bien la spécialité, j’ai voulu faire mon premier semestre dans le vasculaire. Le vasculaire était couplé au cardiovasculaire puisque c’est le même système. Et puis, quand on a goûté au cardiaque, c’est dur de revenir au vasculaire ! J’ai apprécié l’ambiance, l’hémodynamique, l’ambiance de réa, la chirurgie était belle. En fait, c’était une chirurgie à laquelle j’avais déjà pensé. C’est ce que je réponds à chaque fois qu’on me pose la question : il y a un moment où vous ignorez pourquoi mais il y a des choses qui cristallisent pendant l’enfance, une rencontre, un évènement… Moi j’avais environ huit, dix ans quand la chirurgie cardiaque s’est développée, une chirurgie à cœur ouvert. C’était la période de la première transplantation cardiaque, pour moi c’était comme quand l’Homme a marché sur la Lune. Quand on est un gamin de huit-dix ans, ce sont des évènements magiques ! Comme tous les petits garçons qui rêvaient d’être pilotes de chasse, moi j’avais pensé à la chirurgie à cœur ouvert : je trouvais ça bien ! Mais je n’y avais pas pensé plus que ça.
J’avais été aussi marqué par un grand-père qui était médecin médical et donc non chirurgien. Il appartenait à l’ancienne génération : il travaillait la nuit et le jour, il rêvait de ses patients, il ne partait pas en vacances, ne prenait pas de week-end. Je m’étais dit que je voulais exercer la médecine car les sciences m’intéressaient, mais je ne voulais pas mener cette-vie là. Au final, elle y ressemble…!
Je suis ensuite allé à Lille, ce qui m’a beaucoup plu. C’est appréciable de pouvoir changer de ville. Puis, j’ai fait de la recherche à l’Hôpital Broussais à Paris, dans le laboratoire de Monsieur Carpentier, pour faire un DEA. J’ai travaillé sur les transplantations expérimentales, j’ai eu ensuite l’opportunité de faire un PhD (doctorat) sur les xénotransplantations. J’ai étudié ainsi un peu l’immunologie fondamentale. Après deux ans de clinicat, j’ai pris la responsabilité du programme de transplantation cardiaque à Broussais. Toute l’équipe s’est mise en place, j’ai formé tous les plus jeunes et puis maintenant je leur laisse un peu la place. Spontanément, j’ai été ensuite amené à prendre en charge le programme du cœur artificiel.
Quelle est votre implication dans le projet du cœur artificiel ?
Ça s’est fait comme ça ! En parallèle, j’ai validé une agrégation d’anatomie. J’ai fait beaucoup d’enseignement – et encore maintenant – et de nombreux travaux sur les cadavres. L’accès au centre du don des corps et aux cadavres a permis de mettre en place toute la première approche de la technique chirurgicale de l’implantation du cœur artificiel.
Comment se sont passés les essais pré-cliniques ?
Il y a eu plusieurs phases. La première se déroule sur des cadavres : elle permet de perfectionner l’usage de tous les instruments utilisés pendant l’implantation, avec les ingénieurs de Carmat. Des implantations ont été aussi menées en faisant un scanner aux cadavres avant et après implantation pour valider le logiciel d’implantation virtuelle. Ce logiciel est en effet utilisé pour simuler l’implantation chez un patient, avant de l’opérer. Cette étape est très importante.
Ensuite, la phase sur les animaux vivants est composée de trois grandes étapes. La première consiste dans des expérimentations en aigu, avec sacrifice de l’animal à la fin de la journée : elles permettent de valider la technique, les purges des cavités cardiaques, la mise en route de la prothèse et son fonctionnement sur les premières heures. Lors de la deuxième phase, le cœur artificiel a été implanté sur une dizaine d’animaux qui ont été maintenus endormis pendant quarante-huit heures. L’agression de l’acte chirurgical sur l’organisme entraîne, entre autres, une réaction inflammatoire, puis la normalisation de tous ces paramètres était permise grâce au bon fonctionnement de la machine. Pour cela il fallait un délai d’au moins quarante-huit heures. On a gardé les animaux endormis afin de ne pas avoir le problème du réveil des animaux que l’on ne peut maîtriser. Pour la dernière phase dite «chronique», l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) nous avait demandé de tester le cœur sur des animaux pendant plus de quatre jours : nous sommes allés jusqu’à dix jours. En fait, nous n’avons pas pu aller au-delà pour une problématique que vous allez comprendre grâce à votre formation : c’est le choix du modèle expérimental. Le passage à l’Homme est, en effet, toujours très différent. Il existait un écueil très important : la prothèse très volumineuse à implanter dans le thorax des animaux, volume qui devait être mis en contrebalance avec le débit cardiaque de la prothèse qui a un maximum de 9L/min. Or chez ces veaux de 100 à 120 kgs, le débit est à 13-15L/min : on se trouvait dans une situation d’hypoperfusion. Cette prothèse a permis de maintenir ces animaux en vie ! L’ANSM nous avait donné des exigences : pas d’hémolyse, pas d’accident thrombo-embolique.
La limitation de risque de thromboses était-il ainsi le principal objectif du cœur artificiel par rapport à la transplantation de cœurs humains ?
Concernant la transplantation de cœurs humains, la thrombose n’est pas le principal problème. Il se présente plutôt dans le cas de la transplantation de tous les systèmes d’assistance qui existent. En effet, ce sont des systèmes mécaniques et donc non biologiques. Cela nécessite un traitement anticoagulant : l’équilibre entre le risque hémorragique et le risque d’accidents thrombo-emboliques est à trouver. Sur les parties mécaniques de tous ces systèmes, les globules rouges viennent se fracturer, entraînant une hémolyse qui est quelque fois très importante et peut devenir un vrai problème. C’était tout l’intérêt de la «biologisation» de cette prothèse : pas d’hémolyse, pas d’accident thrombo-embolique. Le résultat a été atteint et nous avons eu ainsi l’autorisation.
C’est donc l’ANSM qui vous a donné l’autorisation de mener les expérimentations sur l’Homme ?
Le Comité de protection des personnes, qui est un comité éthique, donne le premier feu vert. Puis l’ANSM a donné l’autorisation pour la première implantation humaine.
Nous avons lu que vous souhaitez faire des transplantations en phase clinique sur quatre personnes dans un premier temps.
Le terme «transplantation» n’est pas adéquat : il faut parler d’ «implantation». La transplantation concerne un organe qui vient d’un donneur en mort cérébrale. Ici, c’est une prothèse que l’on implante. Ce sont deux concepts différents.
Vous avez mené à bien beaucoup de transplantations et une implantation. Pourriez-vous nous donner les différences fondamentales pratiques lors de l’opération ?
La première différence est que la transplantation se déroule la nuit à 4 heures du matin, l’implantation c’est à 8 heures. Donc déjà c’est plus confortable car plus facile à gérer ! Ce ne sont pas des arguments concernant directement la prothèse mais ils sont tout aussi importants. Dans la transplantation, nous sommes tributaires des donneurs, de la bonne volonté des familles des donneurs et de la qualité des greffons, qu’on ne maîtrise pas du tout. Ainsi, les résultats de la transplantation sont composés d’une large part d’incertitude.
De plus, pour les transplantations, il existe des critères de sélection des patients. On réalise une transplantation cardiaque par jour en France. La France fait 10% des transplantations cardiaques mondiales. C’est une activité importante : à peu près 4000 transplantations cardiaques au monde. Il n’y a pas beaucoup d’espoir d’augmenter ce nombre : on ne peut pas souhaiter davantage d’accidents de la route ! Du fait de ce nombre limité de greffons, la sélection des patients s’impose. Il y a un couperet qui est à 60 ans : après 60 ans, globalement pas de transplantations, surtout cardiaques.
Or, maintenant, il y a des gens de 60 ans qui sont en pleine forme, qui envisagent une nouvelle vie, pour dix ou trente ans, bientôt quarante ans. Il faut donc leur proposer une alternative. L’intérêt de cette prothèse réside dans la prise en compte de patients qui ne peuvent pas bénéficier de transplantations. Quand on sait que la transplantation prend seulement en charge 5 à 7 % des patients, cela signifie que plus de 90% sont laissés de côté. Ainsi, un marché et un potentiel très importants ont justifié le développement de ce programme. Le cœur artificiel n’a pas vocation à combler ces 90% mais si déjà 30% sont pris en charge, c’est considérable.
Comment se fera la sélection parmi ces 90% ?
D’autres critères d’inclusion et d’exclusion verront le jour. Actuellement, les critères sont très stricts et sélectifs parce que ce sont les premières implantations mais avec le temps, ils le seront moins.
N’y aura-t-il pas un facteur humain limitant comme le nombre de chirurgiens capables de faire ces opérations ?
Non. Les chirurgiens seront formés en fonction des besoins. De ce point de vue, il n’y a pas de problème, il y a suffisamment d’équipes et de chirurgiens dans le monde. De plus, on a tout fait pour que la technique d’implantation du cœur artificiel soit similaire à celle de la transplantation cardiaque. J’ai beaucoup travaillé pour simplifier les choses. Ce sont des techniques très proches, notamment en termes de sutures. Pour que des techniques se développent dans le monde entier, il faut qu’elles soient simples, reproductibles et accessibles à tout le monde.
Allez-vous opérer les prochains patients de l’essai clinique ou serait-ce l’occasion de laisser la place à de nouveaux chirurgiens ?
J’opérerai les patients qui se trouveront à Paris. Nous travaillons avec deux autres centres : Marie Lannelongue et Nantes. J’irai probablement aider les équipes qui opéreront dans ces deux centres mais très vite la technique sera divulguée. Il faut surtout que le programme marche. Comme on a voulu que la technique soit simple et reproductible, tous les chirurgiens cardiaques qui font de la transplantation vont s’y mettre très vite.
L’étude de faisabilité comprend quatre implantations humaines. On en a déjà fait une. On fera ensuite une étude sur une vingtaine d’implantations en Europe.
Vous avez parlé du nombre très limité de greffons concernant les transplantations. A moyen ou long terme l’implantation de cœurs Carmat pourrait-elle remplacer à 100% la transplantation ?
Deux questions se posent ici : «est-ce qu’elles vont remplacer la transplantation?» et «à 100% ?». A 100%, je ne pense pas car il y aura toujours une place pour la transplantation. Pour l’instant, nous ne sommes pas au stade du remplacement. La transplantation est un programme qui marche, qui a ses règles et ses résultats. La prothèse de cœur Carmat n’est pas du tout encore à ce stade-là. Si tout marche comme on le souhaite, j’espère qu’on y sera très vite.
Une transplantation cardiaque offre des moyennes de survie de l’ordre de treize ans, toutes catégories confondues. La tranche d’âge qui intéresse plutôt la prothèse Carmat regroupe les plus de 60 ans. Deux gros centres américains ont fait des expérimentations sur des séries de patients de 60-70 ans et 70-75 ans : les espérances de vie atteignent 8 ans. Dans le cahier des charges, la prothèse Carmat offre 5 ans, qu’il faut déjà valider.
Comment se passe le suivi post-opératoire ?
On a voulu le suivi post-opératoire le plus simple possible. Il y a deux grands chapitres : les suites de la chirurgie cardiaque classique et celles spécifiques de la prothèse.
C’est une chirurgie lourde qui équivaut à une transplantation. Nous n’avons l’expérience que d’un seul patient, ce qui n’a aucune valeur statistique. C’est un patient qui avait 75 ans, un sujet déjà âgé pour la chirurgie cardiaque lourde. On s’est retrouvé avec les complications d’un patient de 75 ans qui subit de la chirurgie cardiaque lourde. On ne pouvait pas faire une première implantation sur un sujet de 25-30 ans. Maintenant, on va pouvoir descendre en âge même si globalement la prothèse est plutôt faite pour les personnes de plus de 60 ans.
Concernant la prothèse, il y a deux aspects : bioprothéhique et informatisé. Les bioprothèses sont utilisées depuis plus de 40 ans, elles sont en péricarde de veau traité au glutharaldéhyde. Elles ont des durées de vie d’environ 25 ans dans la tranche d’âge des plus de 60 ans. A condition que le patient ait un rythme cardiaque sinusal, ces prothèses permettent de ne pas avoir de traitement anticoagulant, surtout en position aortique mais aussi en position mitrale. C’est un avantage majeur quand on sait que, dans toutes les prothèses mécaniques, le problème est l’hémolyse et les accidents thrombo-emboliques. Cette prothèse est assistée par un logiciel informatique, avec de l’électronique très performante qui permet l’analyse des pressions à l’entrée et à la sortie du ventricule après chaque battement. En cinq battements, la prothèse s’adapte à la physiologie du patient. Si vous vous mettez à courir, vos muscles auront besoin de plus de sang, le rythme va progressivement s’accélérer : il y aura des modifications au niveau de la pré-charge et de la post charge avant et après le cœur. La prothèse pourra ainsi augmenter le débit cardiaque en jouant sur la fréquence et le volume d’éjection systolique.
Or, ce paramètre n’a pas pu être bien testé car le premier patient n’avait pas pu récupérer une activité physique suffisamment intense pour arriver à faire des tests d’effort. Cet aspect-là n’est donc pas encore complètement validé. Mais sur l’animal, on a pu tester le cœur artificiel dans des situations pathologiques, simuler l’embolie pulmonaire, les tamponnades, les hémorragies. Il y a une réelle adaptation de la prothèse.
Chez le premier patient, on a validé le côté bioprothétique. Il en a effet fait une petite hémorragie digestive, ce qui se voit assez souvent en réanimation chez des patients de chirurgie cardiaque. On a arrêté les anticoagulants pendant cinq semaines à cause de ce problème, ce qui est énorme en termes de valves. A l’autopsie, aucun caillot n’a été trouvé, ni dans la prothèse, si sur les valves. C’est donc très encourageant sur cet aspect-là de la prothèse Carmat. Il faut rester sur une notre très positive. La mort de ce patient ne constitue pas un échec : ce sont des patients qui ont des espérances de vie à trois mois. Tous les patients qui sont sélectionnés sont en fin de vie : si on ne fait rien au bout, de 3-4 mois, ils sont morts. Pour ce qui concerne l’adaptabilité à l’effort, il est trop tôt pour dire que cet aspect est validé. Ce sera un des objectifs de la prochaine implantation.
Avez-vous une idée du calendrier des prochaines étapes ?
Oui, j’ai une petite idée, mais rien de précis. Nous attendons le feu vert des ingénieurs et dès que nous l’avons, nous repartons.
C’est plus du côté des ingénieurs de Carmat que de l’ANSM qu’il existe un blocage ?
Il faut juste repasser devant un comité de sécurité mais ce ne sera pas très long.
Y aura-t-il une amélioration technique par rapport au premier cœur implanté ?
Il y aura quelques améliorations, mais très peu de changements – et heureusement sinon tout devrait être validé à nouveau.
S’il y a une défaillance au niveau du cœur, pourra-t-elle être réparée localement ou tout le cœur devra-t-il être changé ?
Pour l’instant, il est trop tôt pour répondre précisément à cette question. Ces situations ont bien sûr été envisagées. D’un point de vue purement technique, on peut soit changer une valve ou les quatre en gardant le même moteur, soit changer le bloc moteur, au prix d’une nouvelle intervention, d’une nouvelle circulation extra-corporelle mais les connexions seront conservées. En effet, la pièce qui fait la jonction entre le bloc moteur et les oreillettes du patient sera gardée. Dans la théorie, il est possible de changer le bloc moteur.
Nous avons lu que la taille de la prothèse ne peut convenir qu’à 65% de la population. Pourrait-on imaginer la conception d’un cœur de taille réduite qui pourrait concerner 100% de la population ?
C’est vrai ! On nous a dit que c’était un cœur qui était fait pour les hommes et non pour les femmes ! Il y a pour l’instant une seule taille, un seul poids et un seul volume : 750 cm3. Aussi, cette prothèse débite 9L/min, ce qui ne répond pas aux besoins de toute la population. Si on arrive à avoir un cœur qui débite 6L/min, la taille et le poids pourront être réduits. On a déjà en tête la deuxième génération, mais il faut déjà valider la première !
J’ai promis que dès que je pourrais implanter un cœur chez une femme, je le ferai pour bien montrer que ce n’est pas un cœur de machistes ! Il y a aussi un marché pour les hommes qui sont beaucoup plus petits, le marché chinois par exemple.
Aussi, le débit est trop important. Nous ne sommes jamais à 9L/min sauf si dans le cas d’un sprint ou à la fin d’un marathon.
Pouvez-vous rappeler les conditions d’attribution pour les transplantations classiques ? Vous nous avez dit que le cœur Carmat s’adresserait à des personnes de plus de 60 ans, mais pourrait-il se destiner à des personnes qui ne seraient pas prioritaires sur la liste des transplantations ?
En transplantation, les indications sont l’insuffisance cardiaque biventriculaire chez le sujet de moins de 60 ans. C’est le ventricule gauche qui est la pompe, qui fait vivre. Il y a déjà de nombreux systèmes d’assistance monoventriculaires quand il y a une défaillance du ventricule gauche mais la condition est d’avoir un ventricule droit fonctionnel. La fonction ventriculaire droite est peu connue en cardiologie et fait l’objet de nombreuses recherches. Nous ne savons pas bien apprécier cette fonction ventriculaire droite parce qu’elle est tributaire de la fonction ventriculaire gauche. Aussi, une autre condition est à remplir : l’absence de problèmes infectieux, de cancers récents puisque les patients sont mis sous immunosuppresseurs, qui peuvent faire flamber un cancer sous-jacent. Aussi, il est important que le sujet n’ait pas d’hypertension artérielle pulmonaire. Quand le ventricule gauche est défaillant, une augmentation de la pression apparaît dans les poumons, dans les veines et l’artère pulmonaires : cette hypertension artérielle pulmonaire dite «fixée» est irréversible même si le cœur est changé. C’est une grande limitation à la transplantation cardiaque car les résistances et la pression sont trop importantes. Ce ne sera pas une limitation pour le cœur artificiel puisque là on augmente le débit et la barrière de l’hypertension artérielle pulmonaire sera franchie. C’est un point très important.
Dans la transplantation et le bilan pré-opératoire, il ne faut pas qu’il y ait de lésions majeures au niveau des autres organes et l’équilibre psycho-social du patient doit être testé. En effet, ce sont des programmes qui sont très coûteux et à la charge de la société. Le programme Carmat répond ainsi à toutes ces contraintes, d’autant plus qu’il n’y a pas pour l’instant de limite d’âge supérieure. Il y a beaucoup moins de contre-indications, puisqu’un traitement immunosuppresseur n’est pas nécessaire avec le cœur artificiel.
Les patients sur liste qui attendent très longtemps sont ceux qui sont grands et forts parce qu’il n’y a pas de greffon pour eux. Le cœur Carmat sera totalement indiqué pour eux, du fait de la taille de la prothèse.
En cas de mort encéphalique, si le cœur artificiel implanté continue de fonctionner, quelle décision prendre et qui va le faire ?
Il n’y a pas de réponse pour l’instant. C’est le principe de la destination therapy. Une prothèse de type ECLS (extracorporeal live support) – deux canules implantées au niveau veineux et artériel au niveau fémoral, prenant en charge le débit comme une circulation extracorporelle – permet de maintenir en vie un patient deux ou trois semaines. On peut aller ensuite vers quelques chose de plus lourd avec ouverture du thorax et l’implantation d’une turbine axiale pour le ventricule gauche – shunt du ventricule gauche – qui a offert un maximum de 8 ans d’espérance de vie. Globalement, ce mécanisme dure deux ans, avec risque d’hémolyse, de problème thrombo-embolique. En général, ils sont implantés en attendant le passage à la transplantation. Le passage de l’ECLS à la trombine gauche se nomme le bridge to bridge : d’un système d’attente à un autre système d’attente. Si on passe de l’une des ces méthodes à la transplantation : c’est le bridge to transplantation. On faisait cela parce qu’on n’avait rien d’autre à proposer,.
Maintenant il y a l’alternative de la destination therapy : on implante ces machines de façon définitive. Des chercheurs aux Etats-Unis ont déjà franchi le pas et comme ils ont vu que nous, en Europe, nous travaillions sur un cœur destiné à un protocole définitif, ils ont validé l’aspect définitif pour des traitements qui existent déjà pour tenter de nous devancer. Il y a quelques patients en destination therapy et cela posera des problèmes : la réflexion se fera au cas par cas. Nous avons une équipe de psychiatres et de psychologues qui réfléchit à ces problèmes. Par exemple, chez un patient qui envoie des micro-emboles dans son cerveau et le détruit ainsi, ses autres organes fonctionnent toujours. Que fait-ton ? Il existe une littérature sur ce point, des groupes réfléchissent à ces problématiques mais il n’y a pas d’attitude univoque.
Un comité éthique se penchera-t-il sur la question ?
Sûrement.
Un cœur Carmat peut-il être réutilisé ?
Non, aucun device médical n’est normalement réutilisé.
Aujourd’hui travaillez-vous uniquement sur le projet du cœur Carmat ?
Non, j’opère tous les jours. Je m’ennuierais sinon !
Pour conclure, nous aimerions connaître votre ressenti personnel quant à votre participation au projet du cœur Carmat, le fait d’avoir été le premier chirurgien à avoir effectué une première implantation de cette nouvelle prothèse. Aussi, quel avenir voyez-vous pour ce projet ?
C’est la chance de s’être retrouvé dans cette situation-là. Quand je dis ça, on me répond que la chance se favorise. La chance est une chose mais il faut aussi croire au projet, à son équipe. Au début, je suis venu pour travailler avec M. Carpentier, le numéro 1 français, parmi les cinq premiers mondiaux. Je me suis dit qu’il n’y avait pas de risque à essayer. Ca ne marche pas, tant pis, il n’y a rien à regretter ; ça marche, on continue ! J’ai joué cette carte là. De plus, on fait des rencontres, on a des moyens, l’occasion de former des plus jeunes. C’est l’innovation. Et vous en êtes la preuve : l’innovation, c’est la jeunesse ! Nous sommes là pour transmettre, ça ne sert à rien de s’arc-bouter sur ses connaissances personnelles, puisqu’on partira avec et on sera oublié dès le lendemain. Je vois avec mes enfants et mes étudiants la nécessité d’échanger. C’est une période terrible, et d’autant plus que vous entrez dans une ère où la technologie est florissante. On a envie d’envisager une nouvelle carrière avec l’expérience de la première.
En ce moment, beaucoup de choses se passent dans de nombreux domaines. Je pense que pour votre génération c’est génial. Il faut croire en soi, surtout en France. Si la France est trop morose, vous allez voir ailleurs, vous partez, vous revenez. Il faut jouer le monde et favoriser les échanges internationaux ! Même en dehors du contexte économique français, il faut bouger. La place appartient à ceux qui bougent. Mais il faut aussi travailler, il n’y a pas de secret.
par opacity
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