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La quête de l’hydrogène métallique : reflet de la recherche contemporaine ?

Par Julien Granier - Le 17 mars 2017

Enfin, l’hydrogène métallique, “Saint Graal” de la physique à haute pression, aurait été obtenu en l’année 2016 par des chercheurs de l’université de Harvard. Posé il y a plus de 80 ans par Hillard Bell Huntington et Eugene Wigner, le postulat de l’existence  de l’hydrogène métallique a suscité bien des espoirs, tant par ses potentielles applications que par la validation des modèles physiques déjà établis. Cependant une levée de protestation se fait entendre auprès des experts. Cette découverte aurait-elle été annoncée un peu trop vite ? Nous allons voir en quoi cette controverse met en exergue plusieurs problèmes présents dans la recherche scientifique.

 

L’hydrogène métallique, c’est quoi ?

Sous sa forme la plus banale, l’hydrogène existe sous forme de gaz moléculaire. Baissez la température jusqu’à 15 Kelvin et augmentez la pression (400 GPa) et vous arriverez à fractionner les liaisons moléculaires pour obtenir un métal – une structure dans laquelle les électrons se déplacent librement.

Diagramme de phase de l’hydrogène en fonction de la pression et de la température :

diagramme phase hydrogène

 

Cet état de l’hydrogène posséderait deux particularités très intéressantes pour les technologies à venir.

Dans un premier temps, ce serait un métal supraconducteur, c’est-à-dire un matériau se caractérisant par son absence de résistance électrique. Cette particularité pourrait permettre de concevoir de nouveaux systèmes de réseau électrique, créer de nouvelles manières de stocker de l’énergie, et peut-être même voir naître les premiers transports à haute vitesse utilisant la lévitation magnétique, soit l’utilisation des champs magnétiques pour se déplacer sans contact avec le sol, et donc sans frottements. D’autres métaux sont déjà connus pour être supraconducteurs (le plomb et le mercure notamment), mais toujours à des températures plus proches du zéro absolu que de nos conditions de vie réelle, ce qui les rend inutilisables à l’heure actuelle.

Dans un second temps, les scientifiques envisagent d’utiliser l’énergie dégagée par le changement d’état de l’hydrogène métallique en hydrogène gazeux pour propulser des fusées. En effet, on utilise habituellement la combustion du couple dihydrogène/dioxygène  pour propulser nos fusées, pour une impulsion spécifique de 460 secondes. Pour mieux appréhender cette valeur, il faut comprendre que l’impulsion spécifique représente la durée pendant laquelle un kilogramme de carburant produit une poussée équivalente à une masse d’un kilogramme dans le champ gravitationnel terrestre. Plus cette valeur est forte et plus le carburant est efficace et permet à la fusée d’aller loin. Dans le cas de l’hydrogène métallique, on obtient une valeur théorique de 1000 à 1700 secondes, ce qui bat  toute concurrence et permettrait d’explorer d’autres planètes et d’en revenir.

 

La méthode de production de l’hydrogène métallique

Pour réussir leur entreprise, Isaac Silvera et son équipe ont utilisé des moyens à la hauteur de leur ambition. En effet, leur expérience consistait à  transformer de l’hydrogène gazeux en hydrogène métallique en le mettant sous très haute pression, grâce à un système intitulé « cellule à enclumes de diamant ». Celui-ci était composé de deux diamants synthétiques polis avec de la poussière de diamant (pour enlever les irrégularités présentes à la surface) et recouverts  d’une fine couche d’alumine, qui permet à l’hydrogène de ne pas se diffuser dans la structure. L’ensemble est placé sous une température proche du zéro absolu et surveillé par spectroscopie Raman (qui a un effet non-destructeur sur la matière observée).

Cette méthode aurait ainsi permis aux chercheurs de dépasser les 490 GPa, pression nécessaire pour créer de l’hydrogène métallique, comme en attesteraient leurs observations.

transition hydrogène métallique

On peut observer sur cette image trois états de l’hydrogène différents :

– Sur la première (à gauche), l’hydrogène est dans son état gazeux, tel qu’on le connaît traditionnellement.

– Sur celle du centre, l’hydrogène est passé dans un état de transition déjà atteint par d’autres chercheurs : la matière est plus condensée, et caractérisée par une absorbance des rayons lumineux nettement plus forte.

– Enfin, on retrouve l’hydrogène sous sa forme finale, dont le côté « brillant » marque une coupure nette avec l’état de transition.

 

La raison de la polémique

Si les médias traditionnels se sont rapidement emparés de la nouvelle (on peut citer entre autres le Telegraph et le magazine Science), affichant un optimisme évident, on remarquera une attitude beaucoup plus méfiante et moqueuse de la part de la communauté scientifique, qui redoute les déclarations prématurées trompeuses.

Selon Paul Loubeyre, membre du Commissariat à l’Energie Atomique, de telles déclarations étaient déjà faites dans les années 1970, et en 1990 c’est Isaac Silvera lui-même qui proclamait avoir réussi. C’est  la pression annoncée, jugée anormalement élevée en vue des précédents travaux (le record jusque là étant de 350 GPa) qui est le principal argument avancé par les détracteurs de l’étude. Pour ne rien arranger à la situation, la courbe d’évolution de la pression en fonction de la force exercée ne correspond pas à ce que suggérerait le modèle établi par les précédentes études. Certains, comme Russell Hemley, chercheur reconnu pour ses études des liaisons chimiques de l’hydrogène et du lithium à haute pression, pointent du doigt un mauvais calibrage des appareils, expliqué par la méconnaissance du comportement optique des matériaux à haute pression. Paul Loubeyre, membre du Commissariat à l’Energie Atomique, explique aussi que la brillance soudaine observée peut très bien être due au revêtement en alumine, qui se transforme aussi à haute pression. Mais surtout un manque de rigueur scientifique est constaté dans l’expérimentation : peu de points de mesure relevés et surtout un seul échantillon utilisé. Cette expérience devrait toutefois être reproduite dans l’année à venir, permettant  d’affirmer ou d’infirmer les résultats des chercheurs. La fin de la controverse n’est donc plus qu’une question de temps !

 

Conclusion

Peut-on remettre la faute de toute cette histoire sur le dos des revues scientifiques, qui, par souci d’attractivité, partagent trop vite des informations sans avoir eu le temps de les vérifier convenablement ? Plutôt que de jeter l’opprobre sur les acteurs de cette affaire, il vaudrait mieux s’attarder sur les raisons d’un tel scandale. Pourquoi ce manque de nuance de la part des deux partis ? Ce phénomène s’explique en partie par les conditions de travail dans la recherche. Placés dans une situation de compétition permanente, les chercheurs vont naturellement vouloir trouver des résultats et les publier avant ceux des laboratoires rivaux. Ce système permet de stimuler les équipes, de les pousser au surpassement de soi ; mais bien souvent, cela se fait au détriment de la prudence, de la patience et de l’objectivité vis-à-vis du travail d’autrui qui sont pourtant trois éléments indispensables à la recherche scientifique. Ainsi, même si cette conclusion peut paraître naïve, gardons à l’esprit ce qui fait l’essence même de la science : la recherche de vérité, sans concession.

Sources :

Images

– image de couverture : Sang-Heon Shim, Arizona State University

– diagramme de phase de l’hydrogène : (Graphic) K. Sutliff/Science; (Data) Ranga Dias and Isaac Silvera, Harvard University

– photos microscopiques de la transition de l’hydrogène : R. Dias, I. F. Silvera

– «Des chercheurs émettent des doutes quant à la découverte d’un « Graal » de la physique» par David Larousserie, pour le journal Le Monde, 27 Janvier 2017

– « Diamond vise turns hydrogen into a metal, potentially ending 80-year quest » par Robert F. Service, pour le magazine Science, 26 Janvier 2017

– « Physicists doubt bold report of metallic hydrogen » par Davide Castelvecchi, pour le magazine Nature, 26 Janvier 2017

– Metallic Hydrogen: A Game Changing Rocket Propellant par Isaac Silvera pour la NASA, 12 février 2013

– Ranga P. Dias et Isaac F. Silvera, « Observation of the Wigner-Huntington transition to metallic hydrogen », Published Online, Science, 26 Janvier 2017

– Compte rendu sur la plateforme arXiv

Sources

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