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S’affamer pour vivre plus longtemps

Par Damien Dufour - Le 20 décembre 2017

De tout temps, les scientifiques ont utilisé leur propre corps comme modèle d’expérimentation, on peut citer par exemple Barry Marshall qui s’inocula la bactérie Helicobacter pylori afin de prouver son implication dans le développement  de l’ulcère gastrique (Warren et al, 1983). L’homme dont parle cet article s’appelle Roy Lee Walford. Ce médecin américain, né en 1924, a travaillé sur la restriction alimentaire (CR: caloric restriction).

La restriction alimentaire consiste à diminuer l’apport calorique tout en gardant un équilibre alimentaire sain. Elle est connue pour permettre entre autres, d’augmenter la longévité de la souris, du rat, de la drosophile et augmenter l’état de santé de singes en réduisant des phénomènes qui en excès empêchent les organes d’assurer pleinement leurs fonctions comme par exemple le stress oxydatif (agression des cellules par des molécules oxygénées instables formées lors de la respiration cellulaire à l’origine d’une accélération du vieillissement des cellules) et l’inflammation (mécanisme de défense contre les pathogènes associé à de nombreuses maladies liées au vieillissement quand elle devient chronique) (Speakman & Mitchell, 2011). Ce scientifique a montré en 1982 les effets protecteurs de la restriction alimentaire chez la  souris : lorsque leur apport alimentaire était diminué à 60% de l’apport normal, elles vivaient plus longtemps et développaient moins de tumeurs spontanément (Weindruch & Walford, 1982). Pour savoir si ces effets étaient également valables chez l’Homme, il est devenu son propre cobaye et a commencé à restreindre ses apports caloriques à 1600 kcal au lieu des 2100 kcal conseillés.

Biosphère 2

Le vrai tournant fut lorsqu’il participa à l’expérience Biosphère 2 en 1991, il était alors âgé de 66 ans. Cette expérience consistait à recréer un environnement artificiel contenant 7 biomes: la forêt, la savane, l’océan, le marécage, le désert, une station agricole et un habitat pour les humains et les animaux domestiques afin de déterminer l’écosystème minimum dont l’homme a besoin  pour vivre. Le but de cette expérimentation était de comprendre le fonctionnement d’un écosystème et d’appliquer ces connaissances pour pouvoir vivre dans l’espace (Nelson et al, 1993). Il resta dans une bulle pendant deux ans avec quatre femmes et trois hommes en s’occupant d’un potager qui était censé être suffisant à leurs besoins. Après, s’être rendu compte que Biosphère 2 ne produisait pas autant de nourriture que prévu, les participants décidèrent de suivre une restriction calorique médicalement suivie par Walford. Il publia plusieurs papiers à la suite de ces deux ans d’expérience (Verdery et al, 1998 ; Walford et al, 1999). Cette restriction de deux ans a eu comme effet la réduction des lipides sanguins et de différentes hormones comme le cortisol impliqué dans la réponse au stress et la triiodothyronine (T3) qui contribue à accélérer  le métabolisme. Ces molécules étaient également réduites  chez les rongeurs ou les singes.

Il créa alors la CR society afin de soutenir la recherche sur la CR et le vieillissement.  L’existence de ce groupe qui prône la restriction calorique a permis de montrer que 18 personnes qui pratiquent la CR depuis 3 à 15 ans étaient en bonne santé et semblaient présenter un statut préventif vis-à-vis de l’athérosclérose (Fontana et al, 2008).

De plus, une étude aléatoire a été réalisée par Corby Martin, chercheur au Pennington Biomedical Research Center  en 2016 : pendant deux ans les ⅔ des 220 participants de cette étude ingéraient 75% de leurs apports habituels tandis que le tiers restant conservait ses apports normaux, cette étude a montré que la CR n’était pas dangereuse pour l’homme:  Les participants sous restriction calorique présentaient un sommeil, un score de dépression et de qualité de vie (estimés grâce à des questionnaires) comparables à ceux du groupe contrôle. Les participants ont eu, à l’issu de l’expérience une diminution de leur taux de cholestérol, de leur pression artérielle, de la Thyréostimuline (TSH) qui stimule la production de T3 et thyroxine (T4) et donc le métabolisme, ainsi que d’autres marqueurs affectés dans les études chez l’animal (Martin et al, 2016).

Walford est décédé à l’âge de 70 ans des suites d’une sclérose latérale amyotrophique (une maladie neurodégénérative qui entraîne une perte progressive de la motricité) mais aujourd’hui encore les recherches sur l’effet de la restriction calorique se poursuivent  afin de confirmer chez l’homme les effets observés chez les animaux. Malgré tout, même si cette intervention semble efficace, les études sur l’Homme sont rares et elle peut se révéler dangereuse si elle n’est pas encadrée. Il est aussi encore nécessaire de mieux comprendre les mécanismes par lesquels la restriction alimentaire induit ses effets. En effet, pour l’instant les mécanismes par lequel la CR induit ses effets restent méconnus. Toutefois, un acteur clé serait SIRT1, une enzyme qui serait surexprimée lors de baisse énergétique et qui permettrait l’expression d’autres protéines entraînant principalement une réduction de l’inflammation (Canto et al, 2009). SIRT1 pourrait aussi expliquer l’effet bénéfique d’une consommation modérée de vin rouge sur la santé car le vin rouge contient du resvératrol qui active SIRT1 (Hootkooper et al, 2012).

Sources :

Cantó, C., and Auwerx, J. (2009). Caloric restriction, SIRT1 and longevity. Trends in Endocrinology & Metabolism 20, 325–331.

Fontana, L., Meyer, T.E., Klein, S., and Holloszy, J.O. (2004). Long-term calorie restriction is highly effective in reducing the risk for atherosclerosis in humans. Proceedings of the National Academy of Sciences 101, 6659–6663.

Houtkooper, R.H., Pirinen, E., and Auwerx, J. (2012). Sirtuins as regulators of metabolism and healthspan. Nature Reviews Molecular Cell Biology.

Martin, M Bhapkar, A.G. Pittas, C.F. Pieper, S. Krupa Das, D.A. Williamson, T. Scott, L. M. Redman, R. Stein, C.H. Gilhooly, T. Stewart, L. Robinson, RD, S.B. Roberts (2016) Effect of Calorie Restriction on Mood, Quality of Life, Sleep, and Sexual Function in Healthy Nonobese Adults. JAMA Intern Med. 2016 Jun 1; 176(6): 743–752.

Nelson, M., Burgess, T.L., Alling, A., Alvarez-Romo, N., Dempster, W.F., Walford, R.L., and Allen, J.P. (1993). Using a closed ecological system to study Earth’s biosphere: initial results from Biosphere 2. Bioscience 43, 225–236.

Speakman, J.R., and Mitchell, S.E. (2011). Caloric restriction. Molecular Aspects of Medicine 32, 159–221.

Verdery, R.B., and Walford, R.L. (1998). Changes in Plasma Lipids and Lipoproteins in Humans during a 2-Year Period of Dietary Restriction in Biosphere 2. Archives of Internal Medicine 158, 900.

Walford, R.L., Mock, D., MacCallum, T., and Laseter, J.L. (1999). Physiologic changes in humans subjected to severe, selective calorie restriction for two years in biosphere 2: health, aging, and toxicological perspectives. Toxicol. Sci. 52, 61–65.

Warren, J.R., and Marshall, B. (1983). Unidentified curved bacilli on gastric epithelium in active chronic gastritis. Lancet 1, 1273–1275.

Weindruch, R., and Walford, R.L. (1982). Dietary restriction in mice beginning at 1 year of age: effect on life-span and spontaneous cancer incidence. Science 215, 1415–1418.

Sources

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