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Des « neurones de l’attention » étudiés chez l’insecte

Par Joachim Bellet - Le 8 mai 2013

Lorsque vous discutez avec une personne lors d’une soirée où plusieurs personnes parlent en même temps, vous arrivez à vous concentrer sur la voix de votre interlocuteur et à ignorer les sons parasites. Cette tâche paraît facile et est souvent réalisée inconsciemment par votre cerveau. Cependant elle résulte de mécanismes supposés complexes et pour l’instant inconnus. On appelle « attention » le phénomène qui permet à notre cerveau de filtrer les informations provenant de notre environnement et d’en choisir une qui arrivera à notre conscience.

Bien que la psychophysique de l’attention puisse être étudiée chez l’homme ou le singe entrainé, il est difficile d’observer des neurones dont le comportement met en évidence ce phénomène. Steven D. Wiedermanet David C. O’Carroll ont publié une étude dans Current biology en Janvier 2013 dans laquelle ils ont enregistré un neurone de libellule dont l’activité pourrait expliquer comment cet insecte peut se concentrer sur un aspect de son environnement. En effet la libellule qui arrive dans un essaim de mouches parvient à capturer une proie alors que les mouches partent dans tous les sens. Elle doit pour cela se concentrer sur une mouche et suivre sa trajectoire jusqu’à l’attraper finalement (Figure 1).

  frye dispatch fig1

Figure 1: La libellule doit choisir une proie et suivre la trajectoire spécifique à cette proie.Mark A. Frye, Visual Attention: A Cell that Focuses on One Object at a Time, Currrent Biology 2013

Les auteurs de cet article ont étudié un neurone appelé CSTMD1 pour «centrifugal smal-target motion detector ». Ce neurone est actif lorsqu’un objet est présent dans une certaine partie du champ visuel de la libellule. Cette partie du champ visuel est appelée « champ récepteur ». Cependant l’activité de ce neurone (le nombre de potentiels d’action émis par seconde) n’est pas la même pour tout point de son champs récepteur. Ainsi objets se déplaçant verticalement à travers le champ récepteur n’induira pas la même réponse du neurone selon l’azimut sur lequel il est situé (figure 2)

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Figure 2 : Le neurone émet des potentiels d’actions à une fréquence particulière pour chaque point du champ récepteurs ; ainsi l’objet T1 induira un patern d’activité différent que l’objet T2 lorsqu’il traversera le champ récepteur. Steven D. Wiedermanet David C. O’Carroll, Selective Attention
in an Insect Visual Neuron, Current Biology, 2013.

Cette propriété permet de connaitre la trajectoire d’un objet dans le champ récepteur en observant seulement le taux de décharge du neurone en fonction du temps.

Les chercheurs ont donc mis à profit cette propriété pour observer la réaction du neurone lorsque les deux objets T1 et T2 traversent le champ récepteur en même temps. Dans ce cas le neurone réagit comme si l’un des objets était présent mais pas l’autre. On observe que le taux de décharge du neurone au cours du temps est le même que celui induit uniquement par un des deux stimuli ; il n’y a pas de sommation des tracés induits par les deux stimuli indépendamment. Il semble donc que le neurone est « concentré » sur une seule des deux cibles. (Figure 3)

 viualattention-figure3

Figure 3 : Le tracé représentant l’activité du neurone lorsque les deux objets sont présentés en même temps se superpose avec le tracé induit par l’objet T1 (ex :B et C) ou T2 (ex : D et E). Parfois il semble que l’attention de la libellule soit reportée sur l’autre objet (switch en F). Steven D. Wiedermanet David C. O’Carroll, Selective Attention
 in an Insect Visual Neuron, Current Biology, 2013.

Les auteurs ont observés que la cellule réagissait parfois avec une certaine latence, comme s’il y avait une compétition entre les deux stimuli, avant de se « décider » à suivre un des deux tracés (exemples K et L de la figure 3). Ainsi le neurone CSTMD1 pourrait donc être responsable de la capacité d’attention visuelle de la libellule qui lui permet de capturer une proie.

Cette similarité avec le comportement complexe que l’on observe chez les mammifères soulève des questions. Tout d’abord chez l’homme l’attention est très liée à la conscience à tel point que l’on a la sensation de n’être conscient que des choses auxquelles on prête attention (ce qui est faux : C.Koch et N.Tsuchiya expliquent cela très bien dans l’article “Attention and consciousness: two distinct brain processes” paru dans Trends in cognitive sciences, 2007). Est-ce que l’attention chez la libellule doit être considérée comme un réflexe (le neurone choisit au hasard une des mouches à suivre) ou bien y a-t-il une sorte de réflexion consciente qui permet à la libellule de choisir une mouche en fonction de certains critères? Si on retrouve un phénomène d’attention chez la libellule et chez l’homme se pourrait-il qu’il soit déjà présent chez notre ancêtre commun? En tout cas ceci montre encore une fois les miracles de la nature : un insecte de quelque centimètres possédant un petit millier de neurones arrive à exécuter une tâche que l’homme peine à programmer sur un super computer.

Sources

Steven D. Wiedermanet David C. O’Carroll, Selective Attention
 in an Insect Visual Neuron, Current Biology, 2013.

Mark A. Frye, Visual Attention: A Cell that Focuses on One Object at a Time, Currrent Biology 2013

Credit Photo

Et pour le fun :

Test d’attention :

http://www.youtube.com/watch?v=Ahg6qcgoay4

Une vidéo en slow motion illustrant la rapidité du reflexe d’une libellule :

http://www.andrewmountcastle.org/media/frogfail1.mov

Sources

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